20 janvier 2008
par JDCh


Modernisation du marché du travail: à pas de nains...

Les travaux entre syndicats de salariés et syndicats patronaux vont se conclure par la signature d'un texte sur la modernisation du marché du travail (cf accord en question). La CFDT, la CFTC, la CFE-CGC et même FO devraient signer ce lundi cet accord et marquer ainsi un petit tournant dans l'histoire de la négociation syndicale dans notre cher pays. La CGT, dont la bonne volonté lors de ces négociations a été remarquée par tous, a, pour sa part, décider de ne pas signer l'accord jugeant, sans doute avec sa couardise habituelle, que la signature des autres syndicats lui permet d'éviter le pire sans avoir à paraître trahir sa vision néandertalienne de la relation employeur-salarié...

Le premier élément extrêmement instructif de cet épisode est constitué par le fait que patrons et syndicats avaient un délai pour trouver un accord. Faute d'un accord "majoritaire", le gouvernement se réservait le droit de légiférer sachant que, en cas d'accord, ladite loi se devrait de refléter peu ou prou le contenu de l'accord... C'est ainsi que craignant une loi de "rupture" sur le contrat de travail, la CFDT rejointe par FO ont préféré un accord loin d'être parfait mais relativement bénin à une mauvaise surprise émanant, un peu plus tard, des équipes de François Fillon. Personnellement, j'aime bien cette méthode gouvernementale qui consiste à fixer un cadre de négociation et à obliger les fameux partenaires sociaux à se mettre d'accord dans le délai imparti. On avance lentement, à pas de nains..., mais, au moins, on avance...

L'accord est un "fourre-tout" dans lequel on trouve:
  • des "voeux pieux" et le début de la spécification de diverses usines à gaz concernant l'orientation et la formation professionnelle;
  • une intéressante introduction d'une "allocation chômage pour jeunes de moins de 25 ans involontairement privés d'emploi" alors que ceux-ci n'auraient pas cotisés suffisamment au regard du règlement actuel. Le montant n'est pas précisé...
  • une bonne "usine à gaz" bien de chez nous concernant la mobilité professionnelle;
  • l'augmentation bienvenue du minimum d'indemnités légales à 1/5 de mois de salaire par année de présence: cette somme est, en général, supérieure dans les conventions collectives et est très faible au regard des indemnités transactionnelles ou des dommages et intérêts octroyés par les prud'hommes... Plus l'indemnité légale sera crédible, moins il y aura de raison de s'en éloigner...
  • l'introduction intéressante d'un "contrat de projet" à durée déterminée, non renouvelable, mais à terme incertain d'une durée de 18 à 36 mois et réservé aux cadres et ingénieurs;
  • une ouverture quant à la portabilité des droits (mutuelles, prévoyance et droit à la formation) dont on peut se demander comment administrativement on va pouvoir régler le coût "post-solde de tout compte" puisque les coûts afférents restent assumés par l'employeur et le salarié qui n'ont, par définition, plus de liens contractuels...
  • des principes généraux de re-fixation des allocations chômages appelées "revenu de remplacement" associés à l'explicitation du fameux "droits et devoirs" de notre ami Sarko...
  • une mention intéressante du "portage salarial" comme outil utile au taux d'emploi alors que beaucoup le pense illégal et qu'il permet, par exemple, à une entreprise d'employer des seniors sans craindre un coût abusif en cas de séparation (qui pèsent sur la "société de portage" ?).
J'avais brièvement décrit les directions dans lesquelles investiguer (cf Vive le contrat unique) lors de la mort juridique du CNE. L'accord reprend assez mollement les points-clé que sont la période d'essai et surtout la "séparabilité" chère à Mrs Parisot. Ces deux points principaux appellent les remarques suivantes:
  • concernant les périodes d'essai, l'allongement proposé à 2 mois pour les ouvriers et employés, à 3 mois pour les techniciens et agents de maîtrise et à 4 mois pour les cadres est une bonne chose. On aurait cependant préféré des durées respectives de 3 mois, 4 mois et 6 mois non renouvelables. Le renouvellement de la période d'essai est, en effet, mal vécue dans nos entreprises et une période d'observation est souvent nécessaire...
  • concernant la "séparabilité", la notion de "rupture conventionnelle" est un pas en avant certain. Rien n'est dit sur l'indemnité de rupture sauf qu'elle ne peut être inférieure aux indemnités légales (ce qui va de soi): à charge pour l'employeur et le salarié de trouver un accord (ce qui paraît bien). L'"homologation" par le Directeur Départemental du Travail fait, par contre, froid dans le dos. Si cette "homologation" ne concerne que la forme, les petits patrons auront tout de même très peur qu'elle déclenche visite ou contrôle de la part de la redoutée "inspection du travail". Si elle concerne également le fonds, gageons que la procédure sera vite réservée aux grands entreprises prêtes à en découdre avec une autorité administrative capricieuse et régalienne dans son comportement. On enlèverait cette fameuse "homologation" qu'on aurait vraiment fait le pas de géant que l'on nous promettait... Ceci dit, l'existence de cette procédure devrait dédramatiser les cas de licenciements avec transaction et faire tendre vers des montants plus raisonnables le coût desdites transactions. Maîtriser le coût et la rapidité d'un licenciement est, en effet, le principal frein à l'embauche dans notre pays...

La suite à la lecture du projet de loi qui devrait suivre la signature de cet accord...



14 janvier 2008
par JDCh


Mé ke di Sarko ?

Après avoir entendu une partie de la conférence de presse de notre cher Président à la radio et revu quelques extraits sur nos télévisions préférées, j'ai décidé de revoir ce week end l'intégralité du dit événement sur Dailymotion...

Du point de vue du personnage, il est amusant de voir comment notre ami Sarko passe de la gaieté provocatrice d'un Christian Clavier, à la rhétorique "simplistique" d'un Popeck tout en ayant, de temps à autre, l'air triste et perdu du regretté Jean Lefevre... La photo à droite préfigure, peut-être, le visage de notre cher Président à la fin de son second quinquennat !

Du point de vue du contenu, le discours précédant les questions des journalistes fut long et ennuyeux mais assez astucieux du point de vue de l'argumentation sur ce que pourrait être cette fameuse "politique de civilisation". Le terme est peu mobilisateur et peut paraître creux, la méthode qu'il implique est plutôt pertinente:
  • définir une "politique de civilisation", c'est re-définir les objectifs, identifier de nouvelles priorités, en quelque sorte ré-écrire ce que les marketeux appelleraient le "mission statement" de la France. Changer les objectifs et les priorités, c'est bien l'argument le plus puissant justifiant la "rupture" et la conduite de nombreuses réformes (école, université, immigration, marché du travail, formation professionnelle, environnement, santé...);

  • faire adhérer à une "politique de civilisation", c'est également montrer que tout est lié (exemple: l'école, l'immigration et le marché du travail) et donc justifier la conduite de nombreuses réformes en parallèle et affirmer que l'on n'est pas là pour prendre des mesurettes techniques mais pour déclencher des changements profonds dans le pays.

Si l'on décrypte un peu, la manoeuvre est grossière mais cohérente. Même si l'on se veut critique, on ne peut taxer Sarko d'être fainéant et immobiliste. La seule crainte que l'on peut légitimement avoir concerne l'efficacité d'un faisceau dense de réformes castrées par les conservatismes technocratiques ou corporatistes, complexes dans leur application et porteuses de peu de bénéfices à court terme. On a, néanmoins et en tout cas, envie de lui dire "chiche, osez plus, changez plus,... c'est cela que nous voulons".

Au delà de cette "construction" autour de la "politique de civilisation", le reste est une sorte d'inventaire à la Prévert...

  • on va mesurer la croissance autrement qu'en calculant le PIB (ndr: Sarko parle de façon erronée du PNB qui est une mesure que l'on est bien incapable de faire de nos jours) et on a confié à des prix Nobel d'économie le soin de proposer quelque chose: pourquoi pas...

  • avec Carla, c'est du sérieux: espérons que la belle Turinoise ne va pas le larguer trop rapidement, il aurait l'air bête...

  • on va favoriser l'actionnariat salarié et élargir/augmenter les dispositifs d'intéressement et de participation: j'y suis personnellement favorable...

  • on va faire un Grand Paris comme il existe un Grand Londres: ça paraît plus qu'utile...

  • on va passer du G8 au G13 en recrutant le Brésil, la Chine, l'Inde, le Mexique et l'Afrique du Sud: le G11 paraît plus que plausible et une fort bonne idée, pas sûr que la Corée du Sud et l'Australie soient très satisfaites de se voir "voler leur siège" par la petite République Sud Africaine...

  • on ne va plus parler de "TVA sociale" parce que le terme est impropre (ndr: c'est vrai): très bien, on transférera sans doute des prélèvements du travail vers la consommation d'une autre manière...

  • on attribue les difficultés de la presse aux MNPP: sans doute un peu court comme explication mais partiellement exact...

  • on sonne la fin des 35 heures (ndr: qui demeurera la durée légale comme annoncé quelques jours plus tard aux parlementaires): il faut le faire...

  • ...
Deux "dossiers" ont toutefois attiré négativement mon attention au milieu de tout cela.

La possible suppression de la publicité sur France Télévisions: je ne vois vraiment pas l'intérêt de remplacer des revenus publicitaires par une taxe supplémentaire (sur les revenus des chaînes privées et des opérateurs Internet et mobiles). J'ai l'impression que le groupe France Télévisions pour lequel la publicité représente un gros tiers de ses revenus est sous la bonne pression conjointe d'une nécessité de bonne gestion (et il y a sûrement encore beaucoup à faire) et d'une quantité d'audience (ce qui n'est pas à opposer à la qualité du contenu comme semble le faire certains). Faire vivre tout ce petit monde de la redevance et d'une taxe nouvelle garantit une vigilance moindre en terme de gestion et ne garantit absolument pas une amélioration des contenus... On peut penser que la masse est bête mais si c'est vrai, elle ne regardera pas ce qui pourrait être intelligent et des chaînes de télé non regardées, ça ne fait pas avancer le schmillblick... On peut, au contraire, penser que les bons contenus attirent l'audience et, dans ce cas, pas de problème pour obtenir des revenus publicitaires...

La Caisse des Dépôts comme protectrice des intérêts économiques de la Nation... On est sur ce chapitre dans la démagogie pure: si l'on avait trouvé un fonds de retournement pour financer Alsthom à l'époque, tout le monde aurait été content (de même pour le "grand de la chimie" Pechiney -dixit Sarko qui voulait peut-être parler de Rhodia!). Si la France n'avait pas les finances publiques catastrophiques qu'elle a, alors, peut-être, pourrait-elle avoir un fonds souverain. Si on ne précise pas que tous les fonds d'investissement ne sont pas des "fonds spéculatifs chargés de dépecer les entreprises", on contribue à l'ignorance des uns et des autres sur la réalité de l'économie Française... Si les Indiens doivent acheter Capgemini un jour et les Chinois LVMH un peu plus tard, ce n'est pas les petits muscles de la CDC qui les en empêcheront ! Bref, plus de mesure et de réalisme auraient été nécessaires...


En résumé: un enthousiasme et une méthode de la rupture plutôt bienvenus, des erreurs et 8 premiers mois de Présidence qui peuvent rendre sceptique. Peut sans doute mieux faire...



04 janvier 2008
par JDCh


Soyez entrepreneurs

Traduction d'une jolie histoire qui m'est parvenue par émail en guise de carte de voeux...

L'homme d'affaires Américain était sur le port d'un petit village côtier mexicain quand un petit bateau avec un seul pêcheur accosta. A l'intérieur du petit bateau se trouvaient quelques thons à nageoires jaunes de bonne taille. L'américain complimenta le Mexicain pour la qualité de son poisson et lui demanda quel temps cela lui avait pris pour les pêcher.
Le mexicain lui répondit que cela lui avait pris peu de temps.
L'américain demanda alors pourquoi il ne passait pas plus de temps en mer pour attraper plus de poissons.
Le mexicain indiqua qu'il en avait assez pour supporter les besoins immédiats de sa famille.
L'américain demanda alors "Mais que faîtes-vous le reste de votre temps ?".
Le pêcheur Mexicain répondit "Je dors tard, pêche un peu, joue avec mes enfants, fais la sieste avec ma femme Maria, me promène chaque soir dans le village où je sirote du vin et je joue de la guitare avec mes amigos. J'ai une vie pleine et occupée, Senor".
L'américain ricana "Je suis diplômé d'Harvard et je pourrais vous aider. Vous devriez passer plus de temps à pêcher et avec les bénéfices acheter un plus gros bateau. Avec les bénéfices issus du plus gros bateau vous pourriez acheter plusieurs bateaux et finalement avoir une flotte de chalutiers. Au lieu de vendre votre pêche à un intermédiaire, vous pourriez la vendre directement au fabricant et éventuellement ouvrir votre propre conserverie. Vous contrôleriez le produit, la fabrication et la distribution."

Vous devriez alors quitter ce petit village côtier et déménager à Mexico, puis Los Angeles et finalement New York où vous dirigeriez votre entreprise en pleine expansion.

Le pêcheur mexicain demanda: "Mais Senor, combien cela va-t-il prendre de temps "?

A quoi l'américain répondit "15 à 30 ans".

"Et alors ? quoi ensuite ?"

L'américain rigola et dit "Le meilleur. Quand le moment sera opportun, vous annoncerez une entrée en bourse, vous vendrez les actions de votre entreprise au public et vous deviendrez très riche. Vous devriez faire des millions."

"Des millions ? et puis quoi ?".

L'américain de répondre "Alors, vous prendriez votre retraite dans un petit village de pêcheurs où vous pourriez dormir tard, pêcher un petit peu, jouer avec vos enfants, faire la sieste avec votre épouse, vous balader dans le village le soir en sirotant du vin et jouer de la guitare avec vos amis."



01 janvier 2008
par JDCh


2008: "subprime", récession ...


La crise dite du "subprime" apparue comme certaine et lourde de conséquences durant l'été 2007 est loin d'être terminée. Elle va sans doute "pourrir" l'économie mondiale de l'année 2008 ou tout du moins son premier semestre. Revenons donc sur les mécanismes générateurs de cette crise, sur leurs conséquences et les éventuelles leçons de micro-économie que nous pouvons en tirer...

Tout commence avec Mister John Doe, membre de la "lower-middle class" américaine. John et sa petite famille, locataires d'un appartement franchement pas terrible pour les $1,000 de loyer hors charges qu'ils paient, décident qu'ils seraient tellement mieux dans une maison dont ils seraient les heureux propriétaires... Mr & Mrs Doe gagnent à deux à peu près $3,500 nets par mois, ont déjà quelques $1,000 de mensualités de crédit à la consommation (2 voitures, l'électroménager, la "flatscreen TV", le PC...) qui courent et voudraient une maison qui vaut $250,000 ("3 bedrooms, 2.5 bathrooms"). En empruntant sur 30 ans à un taux fixe de 5%, il leur faudrait rembourser chaque mois plus de $1,400 soit plus de la moitié de leurs disponibilités. Leur banque leur a dit que cela n'était pas possible mais ils ont vu à la télévision des publicités qui parlent de mensualités allégées les 3 premières années et se rendent chez l'un de ces "mortgage brokers" qui leur propose le "non-refusable": ils n'auront à payer, pendant les 36 premières mensualités, que $1,000 par mois correspondant à un taux allégé de 5% et un remboursement totalement minimal du capital emprunté. A l'issue de cette période, le "broker" les en persuade, leur maison vaudra plus de $300,000, peut-être $350,000, et il sera facile de re-financer ce prêt sur d'autres bases. Sinon, le taux sera porté à 7+% et la mensualité incluant un remboursement du capital passera à plus de $1,600 et ce, pour les 27 ans qui suivent...

Mr Doe est Américain (donc optimiste, court-termiste voire "gambler"), comprend qu'il y a un risque mais se dit que l'immobilier n'a cessé de monter depuis quelques années et que cela n'a pas l'air de devoir s'arrêter et que 3 ans c'est très long... Ce serait bien le diable si, à la fois, pendant cette période de 3 ans, les prix de l'immobilier devaient stagner ou décliner et leurs revenus à lui et son épouse ne pas être améliorés de $600 !

Nous sommes en 2004 et Mr & Mrs Doe signent pour 3+27 ans et emménagent dans leur nouvelle maison...

En 2005 et 2006, les prix de l'immobilier dans le secteur où les Doe résident n'évoluent pas à la hausse au contraire, les revenus du couple progressent un peu mais moins vite que leurs encours de crédit à la consommation (il a fallu meubler la maison et équiper le jardin...) et nos amis se retrouvent à l'échéance des 3 premières années "propriétaires" d'une maison qui vaut moins de $250,000, un emprunt immobilier de $250,000 dont le capital n'a été que marginalement remboursé, leur "mortgage broker" et ses confrères qui leurs disent que re-financer leur emprunt est impossible et une mensualité qui passe brutalement de $1,000 à $1,600. Ils jettent l'éponge...

Comme ils ne sont pas les seuls, les prix de l'immobilier prennent une tendance plus forte à la baisse (loi de l'offre et de la demande), l'organisme prêteur exerce son hypothèque et saisit ("foreclosure") leur maison qui est estimée maintenant à moins de $200,000. Une fois retirés les "fees" liés à son défaut de paiement, Mr Doe n'est plus propriétaire de sa maison qu'il a du quitter et il doit toujours $70,000 qu'il remboursera sur 25 ans à raison de $500 par mois. Un incident de carrière pour lui ou son épouse et la "personal bankruptcy" (faillite personnelle) est avérée ! La suite pour la famille Doe sera alors du Mark Twain version 21e siècle...

Ce qui crée une crise, c'est bien entendu le fait que le cas des Doe n'est pas isolé (on trouvera, d'ailleurs, nombre d'histoires encore plus sordides avec des mazures à $50,000 achetées à crédit par des malheureux aux revenus extrêmement modestes): il y a eu, aux Etats-Unis, environ 600,000 "foreclosures" en 2006, sans doute plus en 2007 et il y en aura sans doute encore plus en 2008 (sachant que certains "subprime loans" sont en 5+25 au lieu du 3+27 des Doe). Cela fait des millions de maisons saisies dont la valeur à la vente immédiate ("firesale") est très faible puisque l'on ne prête plus dorénavant aux gens qui pourraient avoir envie de les acheter et dont la valeur est plus qu'incertaine. Des millions de maisons au prix initial de $200,000 pièce, cela fait des centaines de milliards de dollars qui ont fondu au soleil et dont personne n'est capable d'apprécier la valeur résiduelle !

Pour amortir le choc, le gouvernement Américain a encouragé le maintien dans les lieux des néo-ex-propriétaires et le fait de différer le fameux passage couperet du taux bonifié au taux majoré: en quelque sorte, il propose que ces victimes deviennent, dans l'intervalle, des locataires qui croyaient devenir propriétaires ! Au moins, la majorité d'entre eux ne vivront l'expulsion que dans quelques années et pourront s'y préparer d'ici là...

Une telle crise a, au delà de mettre à la rue ou de flouer lourdement quelques millions de personnes (ce qui est terrible pour les personnes concernées mais finalement assez bénin économiquement quand on sait que ces personnes disposent de revenus modestes et donc d'une capacité de consommation également modeste), révélé des mécanismes de titrisation (en anglais "securitization") des sommes prêtées. Ces véhicules d'investissement ("Mortgage backed securities" ou MBS) ont permis aux organismes prêteurs de financer les prêts accordés à ceux qui seront leurs victimes en attirant les banques du monde entier (ainsi que des fonds d'investissement de type "hedge fund") avec un produit à bon rendement prévisionnel (puisque les conditions du prêt au delà de la période initiale sont "usurières") et pourtant rassurant puisqu'ayant comme sous-jacent des hypothèques sur des biens immobiliers dont personne ne veut penser que la valeur puisse s'effondrer brutalement... Sauf que lorsque le cercle vicieux décrit plus haut s'enclenche, les souscripteurs des MBS (à savoir les banques Américaines d'abord et celle du monde entier ensuite) deviennent la deuxième sorte de victimes du mécanisme...

Ces victimes touchées au plus profond de leur "core business" (qui est de prêter l'argent des uns aux autres en garantissant aux uns qu'ils ne perdront pas cet argent et en s'assurant que les autres vont bien rembourser) ne savent pas combien cela va leur coûter: combien valent les maisons déjà saisies ? combien de défaillances va-t-on observer en 2008, 2009 et 2010 ? mystère et boule de gomme... Tant que l'on ne sait pas, on ne sait pas quelle banque peut faire faillite et, si on est soit même banquier, si on est capable de prêter de l'argent à court terme aux autres banques ou à moyen/long terme aux entreprises ou aux particuliers. La confiance dans le système est ébranlée et cela donne le fameux "credit crunch" qui peut conduire à une récession économique aux Etats-Unis et à un ralentissement général de l'économie mondiale...

Les auditeurs vont faire leur travail sur les comptes 2007 de l'ensemble des banques touchées. Tous seront tentés d'être rigoureux dans l'analyse des conséquences financières pour chacune de leurs banques clientes: l'affaire Enron leur a appris que le temps de la "conciliance" était révolu. Cependant, tous n'auront pas tous les éléments leur permettant de faire une mesure exacte des dommages et aucun ne souhaitera mettre véritablement en péril le bilan de clients aussi importants que les banques...

Nous aurons donc au cours du premier trimestre 2008 un certain nombre d'annonces rassurantes indiquant que les "write-off" passés et prévisionnels sont dorénavant "dans les comptes" et que l'affaire des "subprimes" est derrière nous. Nous aurons toujours, je le crains, au cours des trimestres suivants des annonces comprenant de nouveaux ajustements à la hausse des provisions passées au 31/12/2007. Tant que de telles annonces seront de vigueur, la crise de confiance sera là et la crise du "subprime" belle et bien vivace avec ses conséquences récessionnistes...

Un jour de telles annonces cesseront et seront plus tard suivies par l'annonce de plus-values exceptionnelles liées à la reprise du marché immobilier Américains (les fameuses maisons saisies qui trouveront à nouveau des acheteurs à un prix supérieur aux "book values"). Il en va ainsi des cycles économiques et des bulles financières (qui éclatent avant de toucher le ciel) et il y en aura d'autres...

L'hyper-puissance Américaine est optimiste, court-termiste et a l'esprit "gambler"... Elle vit à crédit aux crochets du monde entier tout en préservant le rêve Américain aussi bien pour le petit employé qui veut une maison avec "2.5 bathrooms" que pour l'entrepreneur qui veut devenir "billionaire"... C'est la force et la faiblesse de ce grande pays et de son économie puissante: rien ne devrait le faire changer...

Après tout, durant les dix dernières années, de nombreux Américains aux revenus modestes ont pu accéder à la propriété grâce aux "subprime loans" en surfant sur la hausse de l'immobilier, de nombreux "mortgage brokers" ont bien gagné leur vie (voire fait fortune) et les gérants ou souscripteurs de MBS ont connu de très beau rendements... Cette crise ne fait que révéler qu'à un moment donné, l'économie réelle et l'économie financiarisé ne peuvent diverger durablement: le prix d'une maison lambda dans une banlieue modeste de l'Amérique profonde est forcément corrélé au niveau de revenus de ceux qui voudrait y habiter...

De "grands sages" avait prévu cette crise en sous-estimant ou non ses conséquences. Elle était parfaitement prévisible mais chacun s'est simplement dit "let's move on" en espérant ne pas être le dindon de la farce. Culturellement, ceci n'aurait sans doute pas pu avoir lieu en Europe continental et en France en particulier: il est vrai que, chez nous, seul l'Etat a le droit de s'endetter au delà du raisonnable... Il n'arrive, d'ailleurs, même pas à payer les intérêts de sa dette sans emprunter à nouveau et augmenter ainsi son niveau d'endettement ! Le "subprime", c'est finalement "petit joueur" à côté !

Les Etats-Unis se remettront, on peut en être sûr, de cette crise qu'ils ont d'ailleurs fait financer, pour partie, par le reste du monde. Quant à l'Etat Français, l'asphyxie lente de ses finances publiques permet de maintenir l'illusion que nous sommes plus raisonnables que les ricains ! Est-ce vraiment le cas ? Vaut-il mieux une grosse crise de temps en temps ou un déclin lent et inexorable ?

Bonne Année en tous cas !


Rédacteur Agoravox