29 mars 2009
par JDCh


Le capitalisme, bouc émissaire ?...

Dans notre cher pays, éternellement nostalgico-trotskyste, on aime à confondre le système, le droit et la morale. On confond tellement ces concepts ou réalités pourtant si différents que l'on finit par tout confondre: un parachute doré de grand patron sur le départ, un plan de stock-options et un bonus versé à un salarié ! Le raisonnement est d'un simplisme édifiant: nous sommes dans une crise financière sans précédent, certains touchent de l'argent ou pourraient en toucher plus tard (dans le cas des stock-options), ce n'est pas moral !... Haro sur tous ceux là et même sur ceux qui leur ressemblent en ayant une forte rémunération ou un gros patrimoine !... Allez, tous dans le même panier: les bandits (Madoff), les nantis, les patrons, les golden boys, les entreprises en difficulté (aidées ou non par l'Etat) et celles qui se portent bien... Tout ceci est de leur faute, ils n'ont droit à rien sauf à l'opprobre populaire, médiatique et politique ! Que de démagogie...

J'aime à faire des comparaisons entre le sport et le business. Voici une nouvelle parabole...

Le capitalisme est un système qui n'a vocation ni à être moral, ni immoral, ni même amoral. Les règles du capitalisme sont comparables à celle du football. Un joueur hors-jeu ou un autre qui fait une main dans la surface de réparation ne font rien d'immoral. Il ne respectent pas la règle, ils sont sanctionnés. On peut sophistiquer les règles pour que le jeu soit plus fluide et plus agréable pour les téléspectateurs ou pour qu'une intervention dangereuse soit plus lourdement sanctionnée (le tacle avec les 2 pieds décollés du sol donne lieu à un carton rouge alors qu'il était monnaie courante dans les années 70/80...). Le système voit ces règles évoluer mais il n'a pas vocation à intégrer en son sein tout l'arsenal juridique et réglementaire ou toutes valeurs morales et sociétales qui l'entourent... Ceux-ci, au contraire, s'imposent à lui...

Un footballeur qui commet un excès de vitesse sur l'autoroute est sous le coup du code de la route... Un supporter qui blesse un supporter de l'équipe adverse n'est pas sous le coup des règles du football mais sous le coup de la justice de droit commun pour coups et blessures volontaires... Un supporter qui profère des injures racistes est sous le coup d'une sanction pénale pour incitation à la haine raciale...

La société démocratique, quant à elle, respire (ou aspire à) certaines valeurs morales qui influent sur le politique et le législateur qui adaptent ou amendent le droit qui lui-même s'applique aux systèmes qu'il s'agisse du football ou du capitalisme. Si la société était raciste, l'incitation à la haine raciale ne serait ni un crime ni un délit que les footballeurs soient blancs, blacks ou beurs !

Dans le système capitaliste, les dirigeants de l'entreprise à savoir les administrateurs et les directeurs-généraux (appelés collectivement les mandataires sociaux qu'ils soient "executive" ou "non executive" à savoir opérationnels ou non dans le quotidien de l'entreprise) ont un rôle clé, les règles du capitalisme et le droit commun s'imposent à eux... Un dirigeant qui offrirait des bijoux à sa maîtresse en payant avec sa carte de crédit professionnelle serait sous le coup pénal de l'abus de bien social: vu du système capitaliste, il aura spolié l'entreprise (et donc ses propriétaires ou ses créditeurs) dans l'intérêt desquels il est censé agir...

Il est d'ailleurs intéressant de noter que la première "duty" (responsabilité) du mandataire social est d'agir dans l'intérêt social de l'entreprise, qu'il fait cela en y appliquant le filtre de son "reasonable judgement" (qu'on pourrait traduire par son "bon sens") et que ce filtre se doit d'être différent que l'entreprise aille bien (auquel cas intérêt social de l'entreprise et l'intérêt des actionnaires sont assez alignés) ou qu'elle soit en difficulté (auquel cas l'intérêt des créditeurs -ceux à qui l'entreprise doit de l'argent qu'ils soient des prêteurs financiers ou de simples fournisseurs- constitue la limite ou la contrainte majeure à ce que l'entreprise peut décider). Qu'elle que soit la situation, la schizophrénie du mandataire sociale ne peut être vivable que si son "reasonable judgement" lui permet d'arbitrer entre des objectifs apparemment contradictoires. Fermer une unité déficitaire pour permettre à un groupe de survivre peut ressembler à se couper un bras en mettant des salariés au chômage... Il existe peut-être un scénario par lequel on ne ferme pas cette unité et on la remet dans le vert... Ce scénario a un coût ou un délai que l'entreprise peut ou ne peut pas affronter... Parfois la "dictature des marchés financiers" (telle que désignée par nos médias) fait que le mandataire social désigné par l'assemblée générale des actionnaires privilégie la santé du cours de bourse (les fameux "licenciements boursiers") donc l'intérêt apparemment court-terme des actionnaires... L'arbitrage est, en fait, difficile... Dans un monde qui va de plus en plus vite, le court-terme et le long terme ne sont pas forcément faciles à distinguer au sens que la non-performance à court terme peut obérer totalement la moindre perspective moyen ou long terme... Instinctivement, on peut se dire que garder un cap et vision long terme est plus vertueux et efficace que d'être obnubilé par le court terme mais ceci reste-t-il vrai si la compétition entraîne un changement drastique dans un secteur (ou un sous-secteur) et que les points forts du passé deviennent les fardeaux du futur... La presse écrite en raison de l'émergence de l'internet ou de la presse gratuite, l'automobile en raison d'une surcapacité de production devenue flagrante et de la tendance "verte" dorénavant majoritaire des sociétés développées comme plein d'autres secteurs sont confrontés à des arbitrages court-terme/long-terme qui sont de vrais dilemmes...

Passons maintenant le filtre du "reasonable judgement" aux cas fortement médiatisés des parachutes dorés, des bonus ou des stock-options... Qu'auriez vous décidé si vous étiez administrateurs de Valéo, Natixis ou Suez-GDF ?

Le parachute doré de Monsieur Morin est certainement stipulé dans un contrat et ne pas lui verser cette somme au moment de son départ revient à ne pas respecter ledit contrat. Est-ce suffisant pour honorer cet engagement ? Difficile de répondre "non" dans une société de droit... A-t-on essayé de négocier avec Monsieur Morin le fait qu'il renonce totalement ou partiellement à ce parachute avant que la presse s'empare de son cas ? Peut-être... D'un point de vue du droit, cette somme lui est dûe sauf à ce qu'il y renonce.. Du point de vue de l'entreprise en prenant un prisme "capitaliste", cette somme, une fois payée, n'est plus dans les caisses de l'entreprise, n'est plus comptabilisé dans la valeur de l'entreprise (et donc vient en réduction de la valeur des actions), n'est plus disponible pour payer d'autres dettes (donc rend l'entreprise déjà en lourde perte plus fragile)... Les seuls bénéficiaires de cette some sont le récipiendaire (Mr Morin) et l'Etat qui en retrouvera 50% au travers de l'IRPP et des contributions sociales ! Si le droit est appliqué en respectant le contrat, le salarié de Valéo, l'actionnaire de Valéo, le créditeur de Valéo sont tous trois spoliés alors que la collectivité au travers de l'Etat ne l'est pas ! Moralement, tout le monde est offusqué... Compliqué, non ? La meilleure solution aurait bien évidemment été un renoncement par Mr Morin à cette clause de son contrat avant que les actionnaires, les salariés et les média ne s'emparent du sujet.

Natixis va verser un "bonus pool" de 70 millions d'euros à 3000 de ses salariés. L'entreprise va mal, elle est sous perfusion par ses 2 actionnaires de référence (Banque Populaire et Caisse d'épargne elles-mêmes aidées par l'Etat) et ses "actionnaires-épargnants" ont quasiment tout perdu (valeur de l'action divisée par 10 par rapport au printemps 2007). Cette décision n'est clairement pas dans l'intérêt des actionnaires. Elle bénéficiera pourtant à l'Etat ou aux systèmes sociaux via les impôts, contributions et cotisations sociales qu'elle générera. Elle choque moralement parce que les salariés bénéficiaires de ces bonus sont pour beaucoup des "traders" et que les "financiers" sont responsables de la crise économique que nous subissons. Cette décision est, sans doute et à l'inverse, parfaitement légitime au titre du droit si les contrats de travail (et les lettres de rémunération annuelles) la prévoient comme contractuelle et mécaniquement due. Elle peut-être considérée comme n'étant pas dans l'intérêt de l'entreprise en lourde perte, devant assumer des coûts de restructuration lourds et devant sans doute un jour rembourser directement ou indirectement les aides de l'Etat dont elle a bénéficié. Elle peut aussi être considérée comme dans l'intérêt de l'entreprise qui est une entreprise financière, dont les forces vives sont les bénéficiaires de ces bonus et qui, si l'entreprise n'honorait pas ses engagement, profiteraient de la moindre éclaircie économique pour quitter cette entreprise et en rejoindre une autre affaiblissant ainsi à moyen terme l'efficacité de l'entreprise... Toujours compliqué, non ? La meilleure solution ne peut pas être rétroactive: insérer une clause dans les contrats de travail ou lettre de rémunération indiquant que la direction de l'entreprise se réserve le droit de modifier les règles de calcul de ces bonus en cas de circonstances exceptionnelles eut été une provision bien utile. Si l'on avait décidé de ne pas verser ou de limiter les bonus versés, on aurait au moins respecté le droit puis communiqué de façon responsable au sein de l'entreprise sans pour autant provoquer les remous médiatiques bien inutiles que nous connaissons...

GDF-Suez, très grande société cotée en bourse, largement bénéficiaire, non aidée par l'Etat au titre de la crise actuelle et qui, au travers des dividendes versés à l'Etat-actionnaire et de l'IS payé en France, est un "contribuable moral" (au sens "personne morale" !) significatif met en place un plan de stock-options touchant 8000 dirigeants et salariés du groupe. Ce plan prévoit un exercice possible à partir de 2012 et un prix d'exercice supérieur de 25% au cours de bourse actuel. Ce plan, par nature, ne coûte rien à l'entreprise et est au détriment principal des actionnaires de l'entreprise qui verront, si le cours de l'action dépasse le prix d'exercice dans 3-4 ans, une dilution (modeste) s'appliquer aux actions existantes. Elle est potentiellement au bénéfice de l'Etat (et des systèmes sociaux) qui pourra, le cas échéant, appliquer impôt sur les plus-values et contributions sociales (voire cotisations sociales en cas de re-qualification en rémunération) aux gains éventuellement réalisés par les bénéficiaires de ce plan. Tout ceci est bien entendu parfaitement légal. Pour motiver plus les actionnaires à accepter cette dilution potentielle, on aurait pu fixer le prix d'exercice plus haut (ce qui aurait été parfaitement ignoré ou incompris par nos journalistes incultes économiquement). Surtout, on aurait pu élargir la base des récipiendaires en proposant ce plan à plus de 8000 dirigeants et salariés et, enfin, on aurait dû s'assurer que la part réservée aux deux principaux dirigeants ne soit pas celle du lion (ce que les informations disponibles ne permettent pas d'analyser). Moralement, puisque ces deux dirigeants pourraient réaliser des plus-values extrêmement importantes dans 3-4 ans (ce qui n'arrivera que si la crise économique est terminée et que l'entreprise GDF-Suez ne commet pas de faux-pas), la vindicte démago-médiatique s'abat sur cette affaire poussant lesdits dirigeants à renoncer à ce plan... sans que la future loi ou décret en préparation par le gouvernement n'ait, en l'espèce, le moindre impact sur leur situation !

Certains veulent "moraliser le capitalisme" et certains veulent faire des lois encadrant la rémunération de dirigeants ou des "financiers": tous confondent la morale, le droit et la démagogie...

Dans les trois affaires présentées ci-dessus, on notera avec ironie que:
  1. le gros capitaliste avec un cigare (l'actionnaire) est toujours perdant ce qui devrait au contraire réjouir les foules "anti-capitalistes";
  2. l'Etat par sa capacité à collecter taxes et contributions récupère toujours une part significative des sommes soit-disant indûes ce qui devrait réjouir au contraire les "collectivistes" de tout poil;
  3. les mandataires sociaux ont systématiquement à arbitrer entre l'intérêt de l'entreprise, le droit et l'impact médiatico-politique de leurs décisions.Ces 3 forces sont en l'occurrence contradictoires avec une "dictature du court terme" qui vient, cette fois, plus du médiatico-politique que des marchés boursiers !

Désolé, ce fut un long "post" mais cela faisait longtemps que cela me démangeait !