23 juillet 2006
par JDCh


Les privatisations sont-elles une bonne chose ?



















Le débat sur la privatisation de GDF au travers de son éventuelle fusion avec SUEZ fait rage... Pour tout un chacun, notre ministre de l'économie et des finances étant de droite et ancien grand patron de Thomson et France Télécom, il est "libéral" (avec tous les sous-entendus péjoratifs qui s'y attachent dans notre cher pays) et donc: "un libéral, ça privatise" et "privatiser, c'est de droite".

La vraie question, que se pose le "libéral pur beurre" que je suis, n'est pas celle-ci. Celle que j'adresse en rédigeant ce "post" est plutôt: les privatisations sont-elles à la fois une bonne chose pour les finances de notre pays et menées suivant les bons principes ?

Je ne parlerai pas ici d'EDF et GDF car ces privatisations sont fortement corrélées à la déréglementation du marché de l'énergie, sujet qui, à lui seul, justifierait un long "post". Je prendrai donc plutôt l'exemple des sociétés autoroutières ASF, APRR et SANEF ainsi que l'aéroportuaire ADP.

Les trois autoroutières ont le même format: elles perçoivent les péages d'autoroutes (qui constituent l'essentiel de leurs revenus), elles "entretiennent, rénovent et achèvent" le réseau dont elles ont la charge et elles remboursent leur importante dette héritage de la construction des dits réseaux. Elles sont fortement bénéficiaires et amenées à l'être de plus en plus sauf à ce qu'on leur demande de construire de nouveaux réseaux (ce qui ne fait pas partie du cahier des charges de leurs contrats de concession qui prennent fin vers 2032).

Leurs entrées en Bourse remontent à 2002 pour les ASF (décision de L. Fabius) et à fin 2004 et début 2005 pour APRR et SANEF (oeuvre de N. Sarkozy). Avant que Thierry B. ne soit nommé ministre des finances, nous avions donc 3 sociétés autoroutières cotées en bourse dont l'actionnaire majoritaire était l'État qui, soit dit en passant, n'avait pas récupéré grand chose de ce début de privatisation (2 milliards environ en 2002 pour ASF et rien pour les 2 autres puisqu'il s'agissait d'augmentations de capital et non de cessions d'actions).

Les bénéfices d'une telle situation sont maigres: à peine peut-on penser qu'en passant du statut d'entreprise 100% publique à celui de "public company" (au sens anglo-saxon du terme à savoir "société cotée en bourse"), la gestion de ces sociétés se doit d'être un peu plus rigoureuse et orientée vers une meilleure performance économique.

Ceci dit, l'État est à la fois l'actionnaire de contrôle, le bailleur de fonds (la dette est portée par la Caisse Nationale des Autoroutes filiale de la CDC), le signataire du contrat de concession en tant que "concédant" et le régulateur des tarifs (au travers de la Direction des Routes et de la DGCCRF): de multiples casquettes sources de potentiels conflits d'intérêt qui, à mon avis, ne devraient pas rassurer le petit actionnaire...

Notre Thierry B. décide lui de céder entièrement les blocs de contrôle de l'État et en décembre 2005, ASF, APRR et SANEF sont repris respectivement par Vinci, Eiffage et l'Espagnol Abertis. Ces cessions rapportent environ 15 milliards d'euros à l'État qui peut également gommer environ 20 milliards de dettes de son bilan consolidé (sommes à comparer à nos 2000 milliards de dette publique...). Du grand art, rendu sympathique par le fait que les petits actionnaires ayant ensuite apporté leurs titres aux offres publiques de retrait (OPR) ont empoché de confortables plus-values (les plus marxisants d'entre nous diront que ces plus-values auraient dû finir dans la poche de notre cher État... ils n'ont pas totalement tort).

Le seul "couac" du processus: l'échec de l'OPR d'APRR par Eiffage (qui n'a que 81% d'APRR contre 95% nécessaires pour forcer un retrait de la bourse) contré qu'il a été par 2 fonds Américains et Suédois dont on dit qu'ils sont proches de SACYR (groupe Espagnol qui aimerait prendre le contrôle d'Eiffage...). Pas de manque à gagner ici pour l'État Français (sauf à ce que les repreneurs aient "factorisé" dans leur prix de rachat le risque d'échec de ces OPR) et peu de péril pour les petits actionnaires encore présents (un an de patience et ils se verront peut-être offrir une somme supérieure à celle reçue par ceux qui ont apporté leurs titres avant avril 2006).

L'opposition a bien évidemment crié au loup dans cette affaire. Le pathétique Bayrou a parlé de "vente des bijoux de famille" et l'affaire de la prime Zacharias (cf Rémunérations des grands patrons) a un peu entaché le dispositif. Je considère cependant ces opérations comme bienvenues (même si on aurait pu éviter le passage par la coûteuse case "bourse") car:
  • L'État s'est désendetté de façon significative;
  • Le prix payé par les repreneurs semble être le bon (une preuve étant que les fonds d'investissement se sont retirés de la course);
  • Ces sociétés autoroutières sont maintenant clairement des fournisseurs-concessionnaires de l'État sans les conflits d'intérêt évidents cités précédemment;
  • L'État continuera à toucher environ 600-800 millions par an d'impôts et taxes de la part de ces sociétés (sauf à ce que les bénéfices de ces sociétés viennent compenser des foyers de perte au sein des groupes repreneurs ce qui ne semble pas être le cas);
  • Leurs concessions s'achevant dans un peu plus de 25 ans, l'État pourra, à cette échéance, au travers du renouvellement de ces contrats faire jouer la concurrence et obtenir soit la construction de nouveaux kilomètres d'autoroute, soit des revenus complémentaires, soit les deux...

On aurait bien sûr pu faire autrement (et peut-être mieux) en se contenant d'"outsourcer" (reprise des moyens mais pas du chiffre d'affaires généré) l'exploitation de ces réseaux autoroutiers auprès des mêmes groupes en obtenant d'eux un coût plus compétitif que celui délivré par nos chères (sens propre et figuré) entreprises publiques et on aurait ainsi gardé l'essentiel de la valeur économique du côté de l'État: cette approche n'était plus possible dès lors que l'on avait introduit ces sociétés en bourse et surtout l'état de nos finances publiques réclament aujourd'hui de faire l'arbitrage entre "du cash tout de suite" (ce qui a été retenu) et des "recettes régulières" (ce que mon scénario alternatif aurait offert).

Le lecteur doit se dire que je suis un fan de notre ami Thierry B. et que, si c'était simplement pour cela, j'aurais pu éviter de pondre ce "post" laudateur de notre actuel ministre des finances...

En fait les choses se sont gâchées avec l'introduction en bourse de la société ADP (Aéroports de Paris) qui est entrée en bourse récemment. Les 3 principales raisons de mon mécontentement sont les suivantes:

  • Je n'aime vraiment pas ce format d'"entreprise publique cotée" dont l'actionnaire de contrôle est l'État: certes le fait de devoir rendre des comptes aux marchés financiers impose une exigence supérieure à celle d'un simple contrôle par la Cour des Comptes et une vraie stratégie de performance économique mais on ne peut parler de "privatisation", les conflits d'intérêt restent flagrants et ce statut hybride peut amener des aberrations (exemple: lorsque France Telecom en 1999/2000 a fait des acquisitions très coûteuses en "cash" pour que l'État ne soit pas dilué en dessous de 50%);
  • Je me méfie des monopoles sans concurrence qui atterrissent dans des mains privées (ce qui arrivera certainement): en dotant ADP de la possession complète des infrastructures aéroportuaires et du "foncier" sur lequel elles reposent et en ne confinant pas la société à un simple rôle d'exploitant ou de concessionnaire (qui peut donc être remis en concurrence de façon périodique), on se retrouve sur la même trajectoire que les Anglais (avec BAA), trajectoire que les Américains ont jusqu'ici évité à raison;
  • Les raisons de ce mauvais choix de trajectoire tiennent à la très mauvaise santé financière de l'État: on lève un peu d'argent en bourse pour permettre à ADP de faire les investissements qui sont nécessaires dans les 5 ans à venir: on commence ici à vendre un "bijou de famille" avec une vision très court terme.

Bref, le bilan "privatisation" de notre ministre, sur qui les fonctionnaires de Bercy commencent visiblement à avoir de l'influence, est mitigé et l'étude des cas forts différents des sociétés autoroutières d'un côté, et de ADP d'autre part, montre que 3 règles doivent être respectées:

  1. Privatisation doit rimer avec concurrence (exemples: France Telecom, Air France...);
  2. Le modèle de concessions de services publics (à durée limitée) est le seul bon modèle lorsqu'il s'agit de situations durablement monopolistiques (ou équivalentes);
  3. L'État lorsqu'il privatise devrait passer directement de 100% de détention à 0% (ou en tout cas, via un scénario clarifié dès l'origine).

A vouloir mettre en place des schémas différents, transitoires et bâtards, on finit toujours par faire des bêtises: celles consécutives de cette fameuse "économie mixte" dont les Français ne se méfient vraiment pas assez ...

Rédacteur Agoravox



4 Comments:

At 8:01 PM, juillet 23, 2006, Blogger Chitah a dit...

Hé bien mon cher David moi qui suis un inconditionnel de ton blog dans la sphère libérale (on peut se tutoyer, non, en tant qu'ancien confrères), je dois dire que si je suis d'accord avec ton développement, j'ai un avis mitigé concerant tes conclusions, et les trois règles que tu énonces. En tout bien tout honneur, avec énormément de bienveillance puisque nous sommes tous deux libéraux.

Je vais donc me permettre de commenter tes trois règles, étant entendu que je suis à peu près d'accord avec tes développements.

"1.Privatisation doit rimer avec concurrence (exemples: France Telecom, Air France...);"
Ici, je suis mitigé.
Doit-on privatiser d'abord, et ouvrir à la concurrence ensuite, ou l'inverse? Ou les deux à la fois, d'un seul mouvement. La dessus, je pense qu'il faudrait un article de ta part à soi tout seul, voire plus. En effet, il existe plusieurs principes à garder en tête :
- le contribuable ne doit pas continuer à payer pour une entreprise pourrie qui accumule les deficits : pour cela, l'investisseur avisé entrant au capital dans le cadre d'une privatisation pourrait avoir son mot à dire. A ceci près que bien souvent, les privatisations se font entre copains, l'Etat (le gouvernement) octroyant une part importante du capital à un groupe ami, que ce soit Bouygues, Axa, ou d'autres hierarques de la place de Paris.
- le consommateur ne doit pas continuer à payer induemmment pour des services trop chers, il est donc nécessaire d'ouvrir à la concurrence
- les salariés des groupes concernés (anciennement publics, destinés à être privatisés et/ou ouverts à la concurrence) ne doivent pas payer pour l'incurie de leurs chefs.

Dans tous les cas, ces segmentations fictives (le salarié, le consommateur, le contribuable, sont souvent la même personne, ou dans le cas général recouvre les deux derniers rôles) imposent que nous autres libéraux développions une vision précise de la trajectoire d'un secteur donné. Nous pourrions en reparler en ce qui concerne l'assurance maladie ou l'assurance chomage, sujets complexes s'il en est, et qui nécessitent de poser clairement les alternatives possibles, entre privatisation, ouverture à la concurrence.
Ce que je veux dire c'est que tout est dans la trajectoire. Mes propos peuvent paraître énigmatiques, mais sache, JDCh que j'ai développé ces points sur le forum libéraux.org.

"2.Le modèle de concessions de services publics (à durée limitée) est le seul bon modèle lorsqu'il s'agit de situations durablement monopolistiques (ou équivalentes);"

Là-dessus, je rejette en bloc : les situations durablement monopolistiques, les situations de monopoles naturels n'existent tout simplement pas. Plutot que de me lancer dans de longs développements, je te conseille la lecture du livre de Pascal Salin "Libéralisme", ou bien du petit livre, indispensable, et de salubrité publique, "39 leçons d'économie contemporaines" de Philippe Simmonot. Ce dernier consacre un petit chapitre sur la question, je t'en conseille la lecture. Normalement, à la suite de cette lecture de ce livre très simple constituant une introduction extrêmement brillante à l'économie, tu devrais avoir la même conclusion que moi : "les monopoles naturels n'existent pas".

"3.L'État lorsqu'il privatise devrait passer directement de 100% de détention à 0% (ou en tout cas, via un scénario clarifié dès l'origine)."

La dessus, quid de la gestion "avisée", par l'Etat, de l'investissement initiali consenti? Par exemple, toi, dans ton boulot, lorsque tu vends une boite, tu vends tout le bloc d'action d'un coup? Ou bien tu vends assez de parts pour atteindre un ROI intéressant, genre x5, laissant le solde pour un éventuel upside, si la boite cartonne plus que ce que tu croyais? Et même si tu vendais tout d'un seul coup, tu ne négocierais pas un petit "earn out", de façon à bénéficier des éventuelles surperformances de la boite à laquelle tu as crus?

Encore une fois : je suis mille fois d'accord avec toi. Je tenais, simplement, avec ce commentaire, apporter quelques bémols et quelques compléments modestes à tes propos, pour montrer que les libéraux, eux, contrairement aux étatistes de tout poil, savent sortir d'une situation étatisée en rentabilisant au mieux les investissements forcés que les contribuables ont faits durant des années si ce n'est des décennies.....

Et enfin : merci encore pour ton blog, une bouffée d'air frais dans le monde de l'investissement, où beaucoup trop de tes confrères et de mes anciens confrères, partent trop rapidement à la chasse aux subventions, aux labellisations pipeau Oséo-Anvar, ou à la chasse aux brevets, dernière hérésie étatique en cours dans le monde de l'innovation (on pourra en reparler des brevets, notamment dans le soft....)

A bientôt et merci encore pour ton blog!

 
At 9:16 PM, juillet 23, 2006, Blogger JDCh a dit...

Chitah

merci pour ce long commentaire et ravi de savoir que nous sommes confreres.

Sur 1/, je crois que nous sommes en phase... Je pense aussi que l'UNEDIC, l'ANPE ou la CNAM pourraient être "privatisées" et connaitre une "concurrence" qui rendrait le système bien plus efficace.

Sur 2/ et ton assertion comme quoi il n'existe pas de monopole naturel, je reste sceptique: quel est le concurrent de l'autoroute A6 ? le TGV de façon indirecte ou une autre autoroute parallèle, plus large et moins chère ?

Sur 3/, je crois malheureusement que les schémas retenus par exemple pour les sociétés autoroutières de mise en bourse puis de cession du bloc de contrôle ne sont pas le fait d'une gestion avisée mais d'une gestion politique: la peur de décrire une trajectoire claire et performante économiquement qui serait décriée par les médias, les syndicats...

A bientot

 
At 6:30 PM, juillet 24, 2006, Blogger Chitah a dit...

Sur le 1, OK.

Sur le 2 : voir ici cet article que j'ai écrit sur ce blog.. Il s'agit de parler d'un sujet un peu connexe à celui que nous adressons toi et moi ici. Regarde aussi cet article que je linke dans l'article dont je parle ci-dessus.

Sur le sujet proprement dit de l'autoroute, rien n'empêche effectivement d'en construire une seconde, et surtout rien n'empêche que les clients, pour tel ou tel usage, décident d'utiliser les services d'un autre entrepreneur. Que ce soit un industriel voulant faire parvenir à ses clients des marchandises (le fret), ou un particulier voulant rendre visite à des copains (avion, train, etc...) ou tout autre usage.
Ce sont des investissements de long terme, certes, de construire une autoroute, mais finalement, construire une usine (et mêmes DES usines) de semi-conducteurs coûte extrêmement cher aussi, sans parler de poser des cables, des fibres optiques pour les telecoms.

Sur le 3 : malheureusement, tu dis vrai. Pas de trajectoire, pas de stratégie, rien du tout.

A bientot,

Chitah.

Ps : je ne suis plus ton confrère, j'étais ton confrère! :)

 
At 11:23 AM, juillet 28, 2006, Anonymous Anonyme a dit...

Bonjour a vous deux,

Interessant votre echange! Tout le probleme vient du fait que l'on a pas d'outil ad hoc pour passer d'une economie centree sur l'etatisme, ayant developpee des monopoles, ou bien des monopoles contraries (lire des partages entre amis d'un meme cercle), vers une economie basee sur la concurrence et l'initiative (privee). On arrive a des aberrations, de transfert de rentes a des acteurs choisis (entreprises issues de l'etat) et pilotes par des hauts fonctionnaires pantouflants encore preneurs d'ordre ou de consignes a bercy ou bien en d'autres ministeres (industrie) ou bien encore aupres de politiques etant dans un systeme monarchique de fait! Bref tout ceci produit des illusions! L'important se passe ailleurs.

La preuve au global :
http://chevallier.turgot.org/a321-Le_declin_de_la_France_en_graphiques.html

La preuve en ce qui concerne les investissements dit publics :
http://chevallier.turgot.org/a323-Investissements_publics_et_militaires_.html

L'affaire France est classee!

 

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