18 janvier 2007
par JDCh


Ces "méchants" fonds d'investissement, la suite

Un de mes premiers "post" en mars 2006 était intitulé "Ces méchants fonds d'investissement". Il visait à démystifier ce monde du capital investissement auquel j'appartiens, qui est souvent méconnu ou confondu avec d'autres acteurs financiers (notamment ceux qui interviennent sur les marchés boursiers) et qui, j'en suis convaincu, a une grande utilité économique dans cette période de forte mutation de l'économie mondiale.

Depuis, notre chère Démagolène a expliqué en Mai dernier aux socialistes du Pas de Calais que les "fonds de pension se déplacent de pays en pays en broyant les individus" (cf Démagolène, pas si blairiste...), le collectif LBO (en fait anti-LBO), soutenu par la CGT et la LCR, a mené un certain nombre d'actions en fin d'année (cf Le site de la LCR) et je suis tombé cette semaine sur un article de National Hebdo intitulé "L'économie mondiale menacée par les fonds d'investissement...". Le discours au sein de cet article (que je n'arrive pas à trouver sur le web, les gens du Front n'ont visiblement pas encore la "web touch" !) est certes moins "trotkystes" que ceux de nos amis socialo-communistes mais on y parle aussi de "dégraissages massifs du personnel, revente rapide, cession des meilleurs actifs, délocalisation à haut rythme...".

Ainsi, la France serait un pays majoritairement "anti-capital investissement" puisque si l'on additionne les voix de la gauche socialiste, des communistes, de l'extrême gauche et du Front National, on doit se situer entre 50 et 60% de la population Française supposée adhérer aux idées portées par les partis politiques ou candidats pour lesquels ils votent...

La surprise n'est pas grande de découvrir que, une fois de plus, des hommes et femmes politiques exploitent une forme d'ignorance de leurs électeurs et diabolisent les "grands méchants capitalistes" qui souvent sont d'"origine anglo-saxonne" (donc forcément cyniques et malveillants !). Mais, n'écrivant jamais sur les thèmes préférés du Front National - non pas que je sois d'accord avec ses thèses mais plutôt parce que n'ai aucune expertise en matière d'immigration ou de sécurité - je tenais à profiter de cette incursion du Front sur "mon" terrain préféré pour lui donner la réplique et faire savoir à mes lecteurs ce que pèse réellement le capital investissement dans l'économie Française.

Avant de parler de menace sur l'économie mondiale (agitant ainsi indirectement le spectre de la mondialisation et des forces occultes et cosmopolites qui manigancent tout cela...), voyons quel est le poids économique du capital-investissement dans l'économie Française. Ernst & Young a publié en fin d'année 2006 un rapport intéressant (cf le communiqué de presse du 28.11.2006 ici) dont on peut tirer les enseignements suivants:
  • les entreprises ayant un fond d'investissement à leur capital sont au nombre de 4850 (au 31.12.05) et ont un effectif agrégé de plus de 1,5 million de salariés (soit plus que toutes les sociétés du CAC40 réunies) donc plus de 9% des effectifs du secteur privé en France. Presqu'un salarié sur dix est concerné et ce seuil a sûrement été passé en 2006 ;

  • ces entreprises ont vu leur effectif augmenter en France de 4,1% soit 60.000 créations d'emplois nets sur l'année 2004 (alors que les sociétés du CAC40 ont vu leur effectif baisser de 0,2%). Les éventuels dégraissages et délocalisations massifs sont largement compensés par les embauches !

  • le chiffre d'affaires cumulé de ces entreprises a cru en France de 6,9% en 2004 (à comparer avec une croissance du PIB de 3%) et le chiffre d'affaires à l'export de ces sociétés à quant à lui progressé de 8,5%. Mauvais ni pour notre croissance ni pour notre déficit commercial !

  • 55% des entreprises concernées comptent moins de 100 salariés et 92% moins de 1000. Confirmation que ce sont les PMEs qui générent de la croissance et des emplois (sachant que l'emploi privé n'a progressé en France que de 0,6% en 2004) et que celles qui sont bien capitalisées sont les plus contributives.
Si vous faites donc partie des presque 10% de salariés Français qui travaillent pour une entreprise privée ayant à son capital un de ces "méchants" fonds d'investissement, vous pouvez en fait considérer cela comme une bonne nouvelle. En effet...
  • si vous travaillez pour une jeune société innovante, cela signifie qu'un acteur institutionnel du capital-risque a considéré que votre société avait l'opportunité de poursuivre une stratégie ambitieuse et qu'elle méritait d'être dotée des moyens financiers pour passer à l'étape suivante et, peut-être, devenir leader dans sa niche ou sur son marché géographique. Même si le succès est loin d'être garanti, avoir les moyens de ses ambitions, c'est mieux;

  • si vous travaillez pour un acteur à forte croissance, cela signifie qu'un capital-développeur a estimé que le projet de croissance organique et/ou externe proposé par votre management était crédible, créateur de valeur et sans nul doute pérénisant pour votre entreprise devenue un acteur qui compte dans son secteur. Bosser dans une entreprise qui gagne offre plus d'opportunités aux salariés que de survivre dans une boîte qui perd du terrain;

  • si vous travaillez dans une entreprise plus mature qui a fait l'objet d'un LBO, la solidité du modèle et la prédictibilité des prévisions de votre entreprise ont été vérifiées plusieurs fois et très scrupuleusement par les fonds ayant pris le contrôle du capital de la société. Peu de chance que les événements tournent mal à court/moyen terme... Travailler pour une société solide fait à priori partie des attentes des salariés...

  • si un fonds de retournement a financé un plan de sauvetage de tout ou partie de votre société, c'est qu'il pense que tout ou partie de cette société peut-être sauvé et pérénisé. Sans doute pas un contexte facile mais une situation bien plus favorable qu'un réglement judiciaire suivi d'une liquidation faute de fonds propres et de moyens de financer l'activité courante (On peut d'ailleurs ici regretter le faible nombre d'acteurs du "turn around" dans la galaxie des investisseurs en capital en France. Il y a pourtant potentiellement et malheureusement beaucoup d'opportunités. Peut-être que nos lois sociales et la culture anti-économique de nos syndicalistes y sont pour quelque chose...).
Les esprits-chagrins regretteront bien évidemment que ces fonds ne soient là que pour 3 à 7 ans et qu'à l'issue de cette période de détention, pour révéler une plus-value si possible significative, ils revendront la société ou leur participation à un acteur industriel ou un autre fonds ou favoriseront une introduction en bourse de la société. C'est la règle du jeu et si vous pensez que 3 à 7 ans c'est court, peut-être faut-il vous acheter une montre qui tourne au même rythme que l'économie mondiale !

Ces mêmes râleurs vous décriront avec horreur l'exigence de résultats attendus par ces fonds d'investissements. Et oui ! comme un entraineur de champions sportifs, les capitaux-investisseurs attendent de bonnes performances de leurs poulains. D'ailleurs quel est le destin d'une entreprise qui sous-performe ? Le déclin suivi à plus ou moins court terme de la faillite. Vous noterez en sus que cette exigence est souvent accompagnée de pratiques de gouvernance qui sont bien supérieures à celles des sociétés familiales ou des filiales non stratégiques des grands groupes et parfois -voire souvent- meilleures que celles des sociétés côtées en Bourse.

Enfin ces dénigreurs invoqueront les risques "énormes" liés à l'endettement significatif assumés par les entreprises sous LBO. Celui-ci est possible aujourd'hui car les taux d'intérêts sont bas et le cycle économique plutôt positif. Si le contexte venait à évoluer, les valorisations et/ou le nombre de transactions viendraient sans doute à baisser et quelques cas trop aventureux (trop "leveragés") ne tourneraient probablement pas très bien. Sur le premier impact, on verrait alors des articles disant "les fonds d'investissement sont trop frileux et se refusent à "booster" l'économie" ! Sur le second impact inéluctable car il y a rarement création de valeur sans prise de risque, je rappellerais simplement que les cas de surendettement financier des entreprises trouvent, en général, une solution opérationnelle (c'est plutôt les actionnaires voire les prêteurs qui en pâtissent) et que France Telecom ou Vivendi n'avaient pas de fonds d'investissement en LBO à leur capital en 2002/2003 (et je ne parle pas d'Eurotunnel) !

En résumé, le poids économique du capital-investissement est dorénavant très significatif dans notre pays et cela ne va pas baisser à court terme, il est plus générateur de croissance et d'emplois que les fleurons de notre CAC40 et la solidité des entreprises qui sont ainsi "backées" est très supérieure à celles de nos PMEs en général. Si "National Hebdo" appelle cela une "menace pour l'économie mondiale", nous ne devons pas avoir la même définition du mot "menace"....

Rédacteur Agoravox



7 Comments:

At 10:28 AM, janvier 18, 2007, Anonymous Anonyme a dit...

Merci de partager ta vision du secteur avec les néophytes. Je vois désormais mieux comment les gens pensent de "l'autre coté de la barrière" entre ceux qui "achètent" une entreprise et ceux qui y travaillent.

Une question pour rebondir: s'agit du monde idéalement utopique que tu décris, ou du fonctionnement d'une majorité de fonds d'investissements, avec hélas toujours quelques mauvaises élèves qui ne prennent pas en considération la viabilité "humaine" de l'entreprise?

ps: je trouve les acquisitions bien plus dangereuses pour l'emploi que les LBO personnellement (j'ai déjà vu une entreprise se faire acheter juste pour récupérer des brevets, suivi de la fermeture de l'entreprise avec perte d'une centaine d'emplois :un concurrent s'était aperçu que les brevets avaient plus de valeur que la valeur estimée l'entreprise, dommage pour les employés. histoire se déroulant en Italie)

 
At 7:17 PM, janvier 18, 2007, Blogger cyclod'abord a dit...

Le dernier livre de Philippe De Villiers vient de paraître.
Pourquoi ce livre à moins de 4 mois du premier tour de l’élection présidentielle ? Une dizaine d’études qualitatives réalisées sur l'électorat FN, UMP et UDF entre la mi-octobre et la fin décembre, montreraient, entre autres, que ces électeurs associent Philippe de Villiers au spectacle du Puy du Fou, dont il est le créateur, et à sa lutte sans merci contre les pollutions marines. Ces études montrent aussi un besoin et une envie d'en savoir plus sur ses actions locales. Contrairement par exemple à Nicolas Sarkozy, et Jean-Marie Le Pen, Philippe De Villiers est le seul candidat à l’élection présidentielle qui soit un entrepreneur et sache lire un compte de bilan.

Le bilan de Philippe De Villiers à la tête du conseil général de la Vendée doit lui permettre de convaincre les électeurs.
Son département, la Vendée ne compte que 6,5% de chômeurs, contre 8,8% en moyenne en France. 0n trouve en Vendée une entreprise pour quatorze habitants, deux fois plus qu’au niveau national. Le département compte un nombre très élevé de PME-PMI, dont une quarantaine sont des leaders mondiaux dans leur spécialité. L’apprentissage est particulièrement développé. Trois Vendéens sur quatre sont propriétaires de leur logement, contre un Français sur deux en moyenne. Sous la présidence de Philippe De Villiers la Vendée a connu un développement économique qui évite à la fois l’assistanat socialiste et les délocalisations. Il se crée deux fois plus d'emplois et deux fois plus d'entreprises dans ce département qu'au plan national. Dans certains cantons le taux de chômage est de 3 %» QUI DIT MIEUX ?

 
At 5:10 PM, janvier 19, 2007, Anonymous Anonyme a dit...

A quand l'indépendance de la Vendée ?

 
At 9:15 PM, janvier 19, 2007, Anonymous Anonyme a dit...

JD,
T'ayant rencontré dans la vie réelle (dans tes bureaux rue PC je crois), ce post ne m'étonne pas. Pour moduler ton autosatisfescit, je me permets de rappeler que les VC français sont des tout petits joueurs (voir post joint), à part peut-être Sofinnova :
- Ils sont 10 à 20 moins actifs que les américains ou israeliens selon que l'on raisonne en population ou PIB (voir post joint)
- Leur aversion au risque est impressionnante
- Les temps de décision sont énormes (un tour prend 4 à 7 mois!)
- Enorme gregarité : début 2006, au vu du succès de youtube, tout le monde s'est jeté sur Vpod et autres dailymotion alors qu'il n'y clairement pas de la place pour tous. On sait où finissent les moutons de Panurge.
- A l'inverse, je connais plusieurs brillants entrepreneurs qui ont du lever à l'étranger car vous n'arriviez pas à les mettre dans vos cases ou que vous ne saviez pas par quel bout prendre leur business case.

Donc oui les VCs sont utiles, mais il faudrait passer la seconde.

A bientôt dans la vie réelle pour écouter un peu d'auto-critique autour d'une bière, ou sur nos blogs respectifs.

 
At 1:43 PM, janvier 20, 2007, Blogger JDCh a dit...

@ Ava

ce "post" parle du Private Equity en general et le poids du capital-risque dans le total des investissements en Private Equity est (malheureusement) assez marginal (10% environ). Les critiques venant de National Hebdo ou de la LCR vont majoritairement aux Buy-Outs qui pèsent sans doute plus de 60% du total.

J'ai déjà un "posté" sur le capital-risque proprement dit et je partage partiellement votre jugement. La situation actuelle est une combinaison de:
-manque de "seed money" et notamment d'"angel money" qui fait que les projets arrivent trop tôt chez les VCs;
-manque de "serial entrepreneurs" ayant gagné et fait gagner de l'argent (les rares qui existent se financent sans problème en France ou auprès de confrères étrangers);
-trop d'équipe de gestion gérant trop de petites lignes conduisant soit à des sociétés pas assez capitalisées pour être ambitieuses, soit à des syndicats de trop nombreux VCs rendant la gouvernance difficile.

Je vois quotidiennement ce qui se passe en UK, Allemagne et Scandinavie et les 2 dernières géographies sont à peu près dans la même situation sauf qu'il y a moins de VCs et la première très différente car il y a beaucoup de "business angels".

Le problème des VCs n'est pas l'aversion au risque mais plutôt une appréciation du "risk/reward" qui ne peut évoluer qu'en enchaînant les succès. Ceux-ci sont historiquement trop peu nombreux pour l'instant...

 
At 7:07 PM, janvier 29, 2007, Anonymous Anonyme a dit...

"C'est la règle du jeu et si vous pensez que 3 à 7 ans c'est court, peut-être faut-il vous acheter une montre qui tourne au même rythme que l'économie mondiale !"
Encore faudrait-il l'avoir expliqué aux salariés! ;P
A votre avis,combien d'entre eux sont au courant,?Et quand les crédits sont sur 10,20,30 (voire 40!) ans,est-il étonnant de trouver des sondages où les français sont 75% à craindre de se retrouver à la rue? (Bon,c'est peut-être parce que l'insécurité est à la mode,mais la France a aussi la plus forte consommation de psychotropes.)
Le salarié vend son travail en échange d'un salaire censé lui assurer un niveau de vie allant de décent à très bon.
Si les règles ont changé,pourquoi ne pas le dire?

Peut-être qu'il faudra alors aborder la question du partage des bénéfices:je n'ai pas les chiffres en tête,mais dans un article de Marianne,les profits des sociétés (CAC 40) et les taux de rétribution actionnaires/grands patrons/salariés étaient assez édifiants...
Même si les cas peuvent être médiatisés à outrance (et avec des arrières-pensées),comment peut-on espérer maintenir la motivation et cohésion à l'intérieur des entreprises quand les gens ont l'impression d'être de simples kleenex,des matricules dans des tables Excel,qu'on raye pour un plus ou pour un plus-plus?
La confiance est une relation réciproque:les gens ne donneront jamais la leur,non plus que le meilleur d'eux-mêmes s'ils n'ont pas des certitudes sur LE NIVEAU DE STABILITE de leur emploi et de leur train de vie...

Pour les LBO:le principe consiste quand même pour certains à récupérer une entreprise en difficulté,à "alléger" au maximum pour augmenter le taux de profitabilité pour pouvoir revendre la belle ainsi parée avec une plus-value "suffisante",non?
Vu le nombre de gens et le savoir-faire qui sont jetés par dessus-bord lors de la (courte) traversée,cela ressemble à du vandalisme économique,non?

 
At 7:25 PM, janvier 29, 2007, Blogger JDCh a dit...

@ Ralala

Je suis d'accord avec votre analyse sur la peur ou les craintes des salariés et c'est d'ailleurs la raison d'être de ce blog. La crainte vient de la méconnaissance et non pas de raisons toujours rationnelles.

4 rmqs:

1/ Les LBO concernent des sociétés en bonne santé financière.

2/ Les cas de "turn around" concernent des sociétés en difficulté. Il y a en général restructuration mais c'est souvent préférable à une disparition des sociétés concernées.

3/ Un changement d'actionnaires tous les 3 ou 7 n'implique pas forcément de discontinuité négative. Les immeubles s'effondrent-ils quand les propriétaires changent ?

4/ Ne confondez pas tout. L'objet de ce post est justement de montrer que le CAC40 et les PMEs financées par le capital investissement ont des dynamiques différentes.

 

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