Infosys-Capgemini: un nouveau Mittal-Arcelor ?
Bien que trouvant le "business model" à la fois ingrat et cyclique, je suis resté un petit actionnaire et j'y ai gardé de nombreux amis parmi les managers du groupe. Autant dire que la rumeur d'une éventuelle Offre Publique d'Achat (OPA) de l'indien Infosys sur Capgemini ne peut pas trouver chez moi un écho purement financier et froid...
- Une opération de conseil ou de développement itératif est ainsi délivrée "onshore" (chez le client ou tout près de chez lui).
- Un projet un peu plus moyen/long terme peut impliquer un rendu du service "onshore/nearshore", une partie des équipes faisant face au client et l'autre étant dans une zone géographique un peu moins coûteuse (par exemple, une équipe "onshore" à Paris et une équipe "nearshore" en Province ou au Maroc).
- Un gros projet multinational est, quant à lui, délivré "onshore/offshore" avec des équipes dans les différents sites clients et une grosse équipe "offshore" typiquement basée en Inde pour les activités centrales de développement et de maintenance.
Ce concept a permis à Capgemini d'expliquer à ses clients que la valeur ajoutée délivrée ne repose pas que sur la qualité de ses programmeurs, qu'une grosse partie de cette valeur repose sur une compréhension du business du client, une bonne capacité à communiquer avec lui et une aptitude à organiser les projets en allouant des tâches à des intervenants situés dans la bonne "zone de coût". On notera d'ailleurs que le coût de management (et le risque de retard ou d'échec) d'un projet augmente en ratio et dans l'absolu si l'on organise la production en introduisant des distances géographiques, linguistiques ou de décalage horaire.
Sous la pression des grandes multinationales (et plus généralement des grands clients anglophones) avec lesquels il est difficilement envisageable de signer de grands contrats profitables sans s'appuyer sur une base de coût de type "offshore", Capgemini a, d'ailleurs, réalisé en octobre dernier l'acquisition (modeste à l'échelle du million et demi d'indiens qui travaillent dans l'informatique) de la société Kanbay qui comptait à cette date 7.000 collaborateurs permettant à Capgemini de doubler sa puissance de feu "offshore".
Le groupe Capgemini va bientôt fêter ses 40 ans. Infosys, qui compte également 75.000 collaborateurs (dont une large majorité en Inde), a déjà fêté ses 25 ans en n'ayant, en réalité, vraiment commencé à émerger qu'en 1993 en étant la première société Indienne à faire son entrée sur la Nasdaq. Le mariage des deux entités amènerait l'entité combinée dans le top 5 mondial (avec IBM, Accenture, EDS et CSC) et aurait le parfait mixte en terme de collaborateurs: une moitié proche des clients dans les principaux pays occidentaux et l'autre moitié en Inde. Si Capgemini pouvait acquérir Infosys, voilà une opération de croissance externe quasi-parfaite...
Le problème c'est que Capgemini ne peut pas acheter Infosys: bien que réalisant 10 milliards de dollars (contre 3 pour Infosys) de chiffre d'affaires, la capitalisation boursière de Capgemini dépasse juste les 10 milliards de dollars quand celle d'Infosys approche les 30 ! L'explication qui fait qu'un informaticien d'Infosys vaut 3 fois plus en bourse qu'un informaticien de Capgemini est assez simple: Infosys connaît une croissance de plus de 30% quand Capgemini a retrouvé en 2006 une croisance de l'ordre de 10% et surtout, le bénéfice net avant impôt se situe à 30% du chiffre d'affaires quand il est en dessous de 4% pour Capgemini. L'informaticien d'Infosys rapporte ainsi "bottom line" par tête 2,5 fois plus que son confrère de Capgemini !
La question inverse se pose donc: Infosys peut-il se payer Capgemini ? La réponse n'est pas évidente... La presse indienne mentionne un trésor de guerre de 1,5 milliard de dollars qu'Infosys serait prêt à mobiliser mais cela ne représente que 15% de la valeur de Capgemini. Vu les résultats d'Infosys, on peut imaginer qu'ils arrivent à "lever" 2 à 3 milliards de dollars de dette pour faire une telle acquisition, on arrive cependant en deçà de 50%. Le reste ne pourra donc qu'être payé en titres et il n'est pas du tout évident que le management (et l'actionnaire fondateur Serge Kampf, Président du Conseil de Surveillance) recommande à ses actionnaires d'apporter leurs titres lors d'une éventuelle Offre Publique d'Achat/Echange.
A mon avis, il faudra que Nandan Nilekani, CEO d'Infosys, arrive à convaincre son "board" de payer un très gros "premium" par rapport au cours de bourse actuel !
En étant très cynique, on pourrait comparer le mouvement entamé par Infosys à l'annonce que ferait Meetic s'il décidait d'acheter des agences matrimoniales pour toucher une clientèle qu'il n'arriverait pas à toucher via le web. La comparaison est rude, pédagogique mais assez erronée: Capgemini a une relation de longue date et une connaissance approfondie de très grands comptes en Europe (en France, Grande Bretagne et aux Pays-Bas en particulier) qui ferait gagner des années d'activité commerciale à Infosys...
Payer un "premium" important peut donc parfaitement être envisagé...
Le suspense bat donc son plein. Une chose est sûre: si Serge Kampf a envie d'avancer dans cette voie, on devrait le savoir vite car le 7 septembre, la Coupe du Monde de Rugby commence et, à cette période, il ne faudra plus trop déranger le grand mécène du rugby tricolore qu'il a toujours été...
7 Comments:
Trés intéressante explication sur le "pourquoi du comment" d'une possible acquisition de Capgemini par Infosys.
Assez renversant aussi d'imaginer une telle situation. Je suis sûre qu'une personne qui aurait pronostiquée il y a quelques années, le rachat d'Arcelor par Mittal et maintenant le possible rachat de Capgemini par Infosys, se serait fait proprement rembarré...!
C'est bien une partie de Monopoly mondial qui se joue...!
En terme de rachat d'une grosse boite par une petite qui monte vite, on notera le rachat de Telecom Italia par Olivetti, je ne me souviens plus du ratio de différence de CA, mais il me semble que c'est à peu près quelquechose comme celui du cas Capgemini/Infosys
et voila que les marchés apportent de l'eau au moulin de la rumeur à moins que ce ne soit l'inverse!! en tout cas, nos nerfs sont à vifs!
Salut David,
Je cherchais à voir ce qu'il en était de ces rumeurs qui nous avaient fait bondir le cours de l'action, et Google m'amène sur ton blog, sur lequel je viens toujours avec plaisir faire un petit tour.
Pour connaître moi aussi un peu ce métier, je partage ton avis sur le fait que croître en Europe quand on est indien n'est pas aussi simple que cela. Si c'est un marché attractif pour eux, et que le temps a son importance, alors metre le paquet pour Cap n'est peut etre pas exclu.
@+
Bonjour,
Belle analyse, loin des marronniers de nos copains de la presse financière.
Il manque cependant à mon sens un point à ton analyse: Infosys à une rentabilité dà deux chiffres, et une croissance de 25%. Même si les chiffres de Capgemini sont plutôt bons, si Infosys se paie Capgemini, elle casse ses fondamentaux boursiers, et donc sa capi.
Bref, c'est pas le moment pour Infosys, Wipro, TCS ou Satyam.
Quand on rajoute le plan de Capgemini de monter à 40.000 indiens, on réalise que les 35 dernières années marqueront la naissance de notre industrie, et que les 30 prochaines passeront par l'industrialisation et l'Inde.
Le 19 juillet, la rumeur est de nouveau d'actualité et l'action Capgemini prend +4%.
En tant que salariés de Capgemini, l'inquiétude générée par ces rumeurs est elle aussi d'actualité, car le cours de l'action est moins important que notre boulot qui nous plait et dont nous ne souhaitons pas que son organisation soit boulversée.
A suivre donc ...
Et maintenant la rumeur Wipro.
Les milliards d'Euros prêts à être engloutis dans le rachat de Capgemini, ne seraient-ils pas mieux utilisés à désappauvrir l'Inde et son bas peuple miséreux ?
Où vont la mondialisation et le libéralisme extrême ? Droit dans le mur c'est évident.
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