10 octobre 2006
par JDCh


Airbus: un "clash" annonçant le "crash" ?

Christian Streiff a quitté la Présidence Direction Générale de Airbus en ce début de semaine. Il est remplacé par Louis Gallois également co-Président de EADS la maison-mère de Airbus.

Les commentateurs attribuent cette rapide démission (Streiff avait pris ce "job" il y a environ 3 mois!) à des enjeux politiques (relations franco-allemandes, élections présidentielles à venir...) ou de gouvernance (relations entre Airbus et EADS, reporting croisé à la "double présidence"...): tout ceci est vrai et sûrement "plus vrai" que chacun ne le pressent mais focaliser le débat sur ces enjeux "polluants" fait un peu trop oublier que la situation de l'avionneur Européen est financièrement préoccupante.

L'aventure Airbus sur les 20 dernières années est à la fois celle d'une véritable réussite industrielle (le point d'orgue étant 2003, année durant laquelle Airbus a livré plus d'avions à ses clients que Boeing: 301 contre 285) et celle d'une coopération Franco-Allemande dont j'avais pu connaître les prémices au milieu des années 80 lors d'une participation au programme Ariane (la combinaison improbable mais efficace de "l'ingéniosité" à la Française et de la "qualité" à l'Allemande !).

Avec le programme A380, Airbus semble s'être assigné des objectifs trop ambitieux et est clairement en situation d'échec (temporaire ?) par rapport à son plan de route. L'entreprise s'est-elle endormie sur ses lauriers ? La grenouille a-t-elle voulu se faire aussi grosse que le boeuf ? Plus simplement, une entreprise "jeune" qui a pratiquement tout réussi est-elle capable d'adresser en temps et en heure des difficultés jamais rencontrées jusqu'alors ?

La vérité est sans doute un mélange de tout cela et la découverte progressive des difficultés et retards afférents à la livraison du "plus gros gros porteur du monde" est symptomatique du fonctionnement d'une organisation dans laquelle les mauvaises nouvelles sont "tabous", dans laquelle chaque niveau hiérarchique ajoute sa dose d'étanchéité et au sein de laquelle personne ne veut être le "responsable" de ce qui peut s'avérer être une catastrophe industrielle... Le patron du programme a bien sûr été démis de ses fonctions mais que lui reprocher si une équipe à Toulouse a délibérément caché une information importante en attendant qu'une équipe à Hambourg finisse par être la première en défaut ?... (ndr: ceci est de la fiction mais sans doute pas très loin de la réalité).

Pour en revenir à Monsieur Streiff dont je ne connais ni le "track record" ni la personnalité, il a apporté un "regard neuf" et sans doute constaté (ou suspecté) que la situation industrielle et financière de Airbus (filiale représentant près des 2/3 de l'activité du groupe EADS) était bien plus préoccupante que prévu. Il lui a fallu assez peu de temps pour articuler un plan de restructuration (nom de code Power8) estimant à près de 5 milliards le "manque à gagner" sur la période 2006-2010 et prévoyant une baisse annuelle de la base de coût de 2 milliards à partir de 2010 (dont, à priori, environ la moitié correspondant aux "licenciements" de 10.000 collaborateurs soit 18% de l'effectif). La "brutalité" du plan fait ici d'évidence écho à l'extrême gravité de la situation.

Quand on sait que EADS a dégagé 2,7 milliards d'euros de résultat opérationnel en 2005, on voit que voir passer EADS "dans le rouge" à moment donné d'ici 2010 n'est pas de la science-fiction mais dans le champ du "tout à fait possible" surtout si le plan Power8 n'est mis en oeuvre que partiellement, le programme A350 est confirmé et de nouveaux "aléas" aggravent la situation du programme A380. Pour faire tout à fait simple, si j'avais des actions EADS, je m'allégerais lourdement et prestement !

Mais pourquoi diable, alors que tout le monde (Louis Gallois, Arnaud Lagardère, Thierry Breton, Manfred Bishop...) indique que ce programme Power8 est à mener à bien, son auteur a-t-il été démissionné ?

Mon petit doigt me dit que Streiff a du entendre en Français ou en Allemand de la part de Louis Gallois ou Thomas Enders (le co-président Allemand du groupe) des phrases du type: "Mon coco, tu es effectivement PDG de Airbus mais ce genre de décisions sont faites au niveau du groupe, pas à ton niveau. Nous, on a le contact avec les actionnaires..." ou "L'A350 ? oui je sais, on n'a plus les moyens mais "shut" si on le dit, ils vont tous paniquer" ou encore "C'est bien de vouloir re-déployer les sites entre la France et l'Allemagne mais ça, c'est discuté par Monsieur Chirac qui doit rencontrer Angela Merkel prochainement..." ou encore "Les délocalisations dans des pays plus "low cost" en dehors de la zone euro, c'est bien, on va le faire mais faut pas en parler avant les Présidentielles !" ... Plein de bonnes raisons de jeter son tablier !

Le valeureux Gallois habitué aux travaux d'Hercule suite à son long passage à la SNCF a donc pris le relais. Le plus grand ennemi de sa réussite sera un actionnaire nommé "Etat Français" (qui pourtant n'a que 15% du capital auxquels on peut ajouter les 2% détenus par la Caisse des Dépôts et dont la présence a pour conséquence de faire que le gouvernement Allemand - L'Etat Allemand n'étant pas actionnaire - par méfiance vis à vis de Paris, mette également son poids dans les discussions afin d'être sûr de ne pas être floué).

Cet encombrant actionnaire va, donc, lui demander de faire du "politiquement correct" alors que le bateau est, peut-être, en train de couler: un exercice qui s'accommode mal avec la situation de crise que traverse l'entreprise. On verra, d'ailleurs probablement (et c'est souhaitable), les deux autres gros actionnaires (DaimlerChryser avec 22% et Lagardère avec 15%), soucieux de la valeur de leur "asset", accorder leurs violons et lutter également contre notre irresponsable Etat: la seule bonne nouvelle sera que cela ne permettra plus à nos média gaulois d'incriminer des luttes "franco-teutonnes" comme source unique des difficultés d'un "groupe mondial d'origine Européenne".

En tout cas, si l'affaire sombre en "Titanic aéronautique", vous saurez à qui vous en prendre !

A ceux qui pensent qu'une faillite d'Airbus est impossible, détrompez-vous. Le groupe n'avait au 1er janvier 2006 "que" 4,5 milliards de "trésorerie nette" (soit à peu près le montant du manque à gagner tel qu'il est (sous-)estimé (?) aujourd'hui pour le programme A380), les querelles Airbus-Boeing sur les subventions publiques rendront très difficile tout renflouement via nos impôts, Lagardère, BAE et DaimlerCrysler sont plutôt des actionnaires "sortants" (ou s'allégeant) et, quand une société commence à perdre de l'argent, il lui est difficile d'accroître son endettement...

Même sans aller jusqu'à la cessation de paiement, si le cours de l'action EADS se dégradait fortement, le groupe deviendrait une proie opéable par nos amis russes, américains ou indiens... Avec 15%, l'Etat Français se sentirait peut-être bien seul...

Je ne souhaite pas du tout que cela arrive mais la "big picture" rend l'hypothèse plausible. Le groupe sera en tout cas à coup sûr sur le fil du rasoir dans les 24/36 mois qui viennent... Souhaitons avoir d'ici là un Président qui comprend ce que tout cela veut dire...

"Auriculairement" vôtre

Rédacteur Agoravox



2 Comments:

At 11:01 AM, octobre 12, 2006, Anonymous Anonyme a dit...

I have it through the grapevine...
Auriculo-realisme.

En fait, il s'agit non pas d'un projet industriel, mais d'un projet politique a contenu industriel (depuis son origine et sans cesse remis sur ce rail). On a beaucoup communique, on a beaucoup contre-informe, mais cela ne suffit pas a rendre un modele economique sain compte tenu des aleas techniques et d'industrialisation qui etaient devant, avec leurs couts; de plus le modele hub to hub vis a vis du point to point on demand est 'faible' (cf formule des reseaux). On a un peu force la realite des le debut du projet, et ce mecanisme ressemble etrangement a celui ayant preside a Eurotunnel. La mixite en economie est la cause. Des le depart ce sont des agendas politiques, de politique interne (chomage, declin economique en tech. avancees), de politique externe (la vielle quete de grandeur nationale, sans compter les couts et sans prise avec le reel).

Helas! On n'arrive pas a tirer lecon des erreurs du passe.

Il ne faut donc pointer que les agendas 'caches' tels qu'evoques.

 
At 1:39 PM, octobre 12, 2006, Anonymous Anonyme a dit...

Terriblement previsible, helas.

Voici ce que disais Vincent Bénard (Institut Hayek)a propos de son article:
Le triste état du libéralisme Français

Plongee au coeur du probleme: l'enarchie, il pointe egalement X (tous ne sont pas etatistes pour autant) mais je pense que JD a pris quelques distances.

Dans ce texte tres renseigne est explique le mecanisme qui porte a des derives telles celles en cours:
la classe du 'capitalisme public'

L’Enarchie
L’Ena fut créée immédiatement après la guerre pour fournir à
l’administration une cohorte de hauts fonctionnaires d’élite destinés à gérer
la reconstruction d’après guerre. Notamment, le corps de l’inspection des
finances, créé par Napoléon, trouva dans l’ENA son principal vivier de
recrutement. L’après guerre marque une période faste pour l’expansion des
pouvoirs de cette nouvelle caste. Non qu’il y eut complot ou volonté
délibérée qu’il en soit ainsi. Mais simplement, la sociologie des
bureaucraties auxquelles trop de pouvoirs ont été octroyés, illustrée
brillamment par la théorie du « choix public » développée par le prix Nobel
d’économie 1986 James Buchanan, a trouvé ici une illustration de choix.
Après la guerre, l’inspection des finances fut chargée de coordonner
l’utilisation des aides reçues au titre du plan Marshall. Elle recruta pour ce
faire les meilleurs élèves de l’ENA, qui allaient petit à petit remplacer les
anciens inspecteurs au profil moins monolithique. Les énarques furent
également chargés d’animer des structures étatiques vouées à la
reconstruction du pays, comme le commissariat au plan. Même les
gaullistes, encore traumatisée par la guerre et la crise de 1929, dont les
causes avaient été fort mal analysées et considérées bien à tort comme une
faillite de l’économie libreviii, étaient persuadés que seul un état fort pouvait
coordonner efficacement la reconstruction du pays. Plans quinquennaux
(comme en URSS !), nationalisation de la prévoyance, villes nouvelles,
contrôle des prix et des loyers, dépense publique, et… guerres coloniales
sont les symboles de cette nouvelle économie encadrée qui fut celle des
trente glorieuses. Et les énarques, aux premiers rangs desquels les plus
favorisés d’entre eux, les inspecteurs des finances, furent les servants de
cette reconstruction. Plus exactement, ils ont petit a petit constitué le groupe
majoritaire d’un duopole partageant l’essentiel du pouvoir administratif
avec une autre branche de l’aristocratie publique, issue quant à elle de
l’école polytechnique.
Lorsque ces jeunes loups arrivèrent à l’âge de remplacer leurs maîtres issus
de l’avant guerre, nul étonnement qu’ils furent inclinés vers des politiques
interventionnistes, et que ceux d’entre eux qui diffusèrent leurs écrits aient
en majorité diffusé une pensée politique faisant la part belle au rôle de l’état.
Même si les énarques sont loin de porter une école de pensée unique
interventionniste (on trouve plus encore aujourd’hui qu’hier quelques
énarques libéraux), ils ont en revanche développé un sens corporatiste
extrêmement fort. Peu importe leur opinion, la fratrie aide ses membres à
grimper dans la hiérarchie de ses obédiences, de l’inspection des finances au
conseil d’état, de la cour des comptes aux préfectures, de la diplomatie au
trésor public.
Et si d’aventure l’exercice du service public ennuyait ces gens si talentueux,
un statut sur mesure leur permettait d’aller goûter aux joies de la politique et
des affaires à des conditions extrêmement avantageuses, puisqu’en cas
d’échec, ces super-fonctionnaires pouvaient à tout moment réintégrer leur
corps d’origine avec préservation de leur avancement automatique. Ces
avantages sont d’ailleurs en grande partie accessibles aux autres
fonctionnaires, mais nulle caste n’en a mieux profité que les énarques, aux
premiers rangs desquels les aristocrates de cette nouvelle noblesse, les
inspecteurs des finances.
Compte tenu des liens profonds tissés entre l’état et l’économie, de
nombreuses grandes sociétés françaises ont estimé utile d’embaucher à des
postes à haute responsabilité, y compris comme PDG, des inspecteurs des
finances, car les relations que ceux ci conservaient à l’intérieur de
l’administration ne pouvaient qu’être utiles. L’énarchie à ainsi promu une
classe de PDG sélectionnés plus pour leur carnet d’adresse que pour leurs
vraies aptitudes managériales. Pour quelques réussites, combien de
milliards, parfois renfloués par les contribuables, ont-ils été engloutis dans
les naufrages du Crédit Lyonnais, d’Alstom, de Pallas Stern, de Vivendi
Universal ou de France Télécomix ? Ces entreprises naguère solides ont été
coulées par des dirigeants plus préparés à rechercher des avantages noncompétitifs
ou des rentes de situation qu’à affronter l’âpreté de la
compétition mondiale.
Rechercher des avantages particuliers auprès du ministère des finances fut
de tout temps le domaine d’excellence de ces nouveaux
aristocrates. Ghislaine Ottenheimer nous apprend ainsi dans son ouvrage
remarquablement documenté sur l’inspection des financesx que même la
faillite de Vivendi, groupe pourtant privé, aura coûté près de deux milliards
d’Euros au contribuable sous forme d’une remise fiscale accordée par Bercy
à l’entreprise dirigée alors par JM Messier, au seul motif qu’entre confrères,
il faut bien s’entraider.
Pas étonnant que cette classe de « capitalistes publics » n’ait pas été
exagérément portée vers les idées libérales. Les chercheurs de rente aiment
les stocks options, mais ne goûtent guère aux lois sur la transparence
financière et le respect des droits des petits porteurs, ils louent la flexibilité
du marché du travail mais se réservent des sorties de secours au sein de
mère fonction publique, ils défendent la baisse des impôts mais ne crachent
pas sur une bonne petite subvention ou remise fiscale.
Tous les énarques ne méritent pas l’opprobre, certains sont remarquables et
nombreux sont ceux qui dénoncent les dérives de la nomenklatura
énarchique. De même, les comportements irresponsables ne sont pas
l’apanage des PDG énarques. Mais la promiscuité d’énarques à la tête des
entreprises du CAC 40 et des principales directions des services publics
créée une confusion d’intérêts malsaine qui ne conduit pas nos entreprises et
les lois qui encadrent leurs activités dans la bonne direction.
Tous les énarques ne peuvent espérer devenir top managers des grands
groupes. Aussi sont ils encore plus nombreux à avoir choisi une voie
d’épanouissement plus sexy que les bureaux sombres des ministères : la
politique. Jacques Chirac, Dominique de Villepin, et avant eux MM. Juppé,
Giscard d’Estaing, Rocard, Fabius sont les exemples les plus représentatifs
de la réussite de la nomenklatura énarchique en tant que classe politique
dominante.
Pour augmenter leurs opportunités de réaliser de belles carrières, les
énarques ont instauré, pas à pas, des lois qui sécurisent leur parcours
politique, et qui là aussi bénéficient aux autres fonctionnaires. Bien sûr,
comme pour ceux qui partent en entreprise, le retour dans l’administration,
avec carrière reconstituée, leur est garanti pour le cas où un caprice des
électeurs les renverrait dans vos foyers. Voilà qui explique que plus de la
moitié de nos députés soient issus des rangs de la fonction publique, et
pourquoi les énarques sont si nombreux au sommet de cette hiérarchie.
Deuxièmement, ils peuvent cumuler deux mandats électifs, (et encore cette
réduction à deux du nombre maximal de mandats est elle récente), et les lois
successives qu’ils se sont auto rédigées leurs garantissent qu’ils ne
manqueront non seulement pas de fauteuils électifs à occuper, mais que des
postes non électifs leurs seront de surcroît ouverts. Maires, Conseillers
généraux, régionaux, députés, sénateurs, mais aussi présidents
d’intercommunalités, de syndicats d’adduction divers et variés, de sociétés
d’économies mixtes, de sociétés d’HLM, observatoires, conseils
consulaires, et autres machins fertilisés à l’argent public toujours plus
nombreux garantissent cumuls de salaires, de jetons de présence,
d’avantages en nature qui permettent aux plus hauts gradés de la fratrie de
jouir de trains de vie inaccessibles au commun des mortels.
Tout comme Mikhail Voslenskixi ou Milan Djilas l’avaient constaté pour les
nomenklaturas des pays de l’est, l’énarchie et ses suiveurs s’est mutée en
classe exploiteuse de la richesse Française, prête à tout pour accumuler de
nouveaux avantages et surtout pour les conserver, malgré les protestations
encore timides mais tout de même croissantes de l’opinion et de la société
civile. Il y a toujours un parachute doré qui attend un politicien déchu.
Pourrait on imaginer, dans un autre pays, un politicien de haut rang perdant
deux fois la course à la présidence qui ne disparaîtrait pas de la vie
politique ? Jacques Chirac et François Mitterrand ont pourtant réussi cette
gageure, parce qu’ils ont toujours bénéficié de confortables sinécures pour
continuer à mener à grand tain leur vie politique après leurs défaites
initiales.
Peut on alors s’étonner que ces politiciens ne soient guère portés à aimer le
libéralisme politique et ce qu’il suppose en terme de compétition et de
transparence des moeurs financières ? Et quand bien même certains d’entre
eux seraient portés à regarder nos idées avec bienveillance, faut il s’étonner
que leurs entourages d’énarques les poussent à modérer leurs ardeurs ? faut
il s’étonner que des membres de démocratie libérale, tels que Jean Pierre
Raffarin, une fois parvenus au gouvernement, se soient faits les défenseurs
acharnés de l’action publique et des vieilles recettes éculées du
keynesianisme ? Voilà pourquoi il est particulièrement difficile de concevoir
de vraies réformes libérales en France.

 

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