07 juillet 2007
par JDCh


Le CNE est mort... Vive le Contrat Unique ?

«Dans la lutte contre le chômage, la protection des salariés dans leur emploi semble être un moyen au moins aussi pertinent que les facilités données aux employeurs pour les licencier...", "Il est pour le moins paradoxal d’encourager les embauches en facilitant les licenciements». Telles sont les affirmations de la Cour d'Appel de Paris qui vient de déclarer le Contrat Nouvelle Embauche non conforme à la convention 158 de l'Organisation Internationale du Travail qui stipule qu'un salarié ne peut être licencié sans motif valable et que la durée de la période d'essai doit être fixée à l'avance et avoir une durée raisonnable.

Ce jugement permet d'envisager un recours pour tout salarié disposant d'un C.N.E (et ils sont plus de 600.000 à en avoir signé un sur les 22 mois d'existence du dit contrat) qui serait licencié durant la période de "consolidation" de 2 ans. Du boulot pour les prud'hommes, des incertitudes pour les patrons d'entreprises de moins de 20 salariés (qui seules peuvent signer de tels contrats de travail), une tension renouvelée dans le rapport employeur-employé... D'une certaine façon, un retour à la case départ. Dommage voire fort dommageable...

Avant de parler du fond, on remarquera que la Cour d'appel porte un jugement qui ne paraît pas très juridique mais plutôt économique ou, en fait, idéologico-politique. Depuis quand les juges sont-ils en charge de dire l'efficacité économique de la loi ? Ils doivent dire si un contrat est respectée ou s'il est "légal" mais je m'étonne qu'ils puissent se sentir mandatés (et compétents) pour décerner un label d'efficacité de tel ou tel contrat sur la création d'emploi ! Il me semble que l'on pourrait déclarer caduc le jugement de cette cour d'appel tout simplement parce que les commentaires associés à la décision font penser que la décision rendue par ces juges ne s'est visiblement pas simplement appuyé sur l'analyse juridique du cas qui leur était soumis...

Sur le fond maintenant... le CNE (comme le CPE d'ailleurs) est une initiative qui a tenté de faire d'une pierre deux coups: mettre les employeurs à l'abri des conséquences de ce que l'on appelle une "erreur d'embauche" ET permettre aux entreprises de confirmer la viabilité économique d'un poste créé. Comme il y a 2 objectifs totalement différents, on a autorisé la "non-motivation" du licenciement (qui, en fait, dans 99% des cas, serait soit "on s'est trompé, le gars ne fait pas l'affaire" soit "on a essayé mais, économiquement, il n'est pas raisonnable de maintenir ce poste") et on a fixé une durée de 2 ans que la cour d'appel de Paris a jugé déraisonnable.

Si l'on étudie d'abord le premier cas générique de l'erreur de "casting", je pense que tout le monde s'accordera pour dire qu'une période d'essai de 1 mois renouvelable une fois est insuffisante pour juger de la qualité du travail de quelqu'un, de son intégration dans l'entreprise et des résultats concrets de cette embauche. Deux mois paraissent donc bien trop courts... Pour avoir pendant quelques années embauché beaucoup d'ingénieurs avec un CDI prévoyant une période d'essai de 3 mois renouvelable une fois, je peux confirmer que 6 mois sont, en général, suffisants pour juger des éléments cités plus haut. Ceci dit, peu d'entreprises présentent un climat social suffisamment serein pour que le manager signataire du CDI puisse en toute transparence convoquer le nouvel embauché au bout de 10 semaines pour lui dire "Paul, tu es arrivé il y a 2 mois et demi... je dois dire que j'ai un doute sur toi et je souhaite renouveler ta période d'essai pour une durée totale de 6 mois". Ce face à face, dans bien cas, est mal vécu (des deux côtés) et est donc évité soit un par un départ pendant la période d'essai, soit par une confirmation tacite (et souvent malencontreuse) de l'embauche en question. Il semblerait donc que la bonne durée "raisonnable" pour une période d'essai soit de l'ordre de 5 à 6 mois (éventuellement prolongeable une fois de 2 à 3 mois).

Le second cas générique du non maintien du poste créé pour des raisons de viabilité économique est assez différent. La démonstration par l'exemple est sans doute ici la meilleure façon de l'expliquer... Imaginons une entreprise qui a décidé d'attaquer un nouveau secteur géographique ou un nouveau type de clients. Il s'agit d'une entreprise B2B qui vend à d'autres entreprises et pour laquelle les cycles de ventes sont longs (9 mois ou plus). Le patron de cette entreprise peut avoir plusieurs tactiques:
  • il embauche 5 vendeurs avec un contrat précaire dont nous avons le secret en France, n'arrive pas à attirer de bons vendeurs et se plante sur ce nouveau marché;

  • il embauche 2 vendeurs en CDI, arrive à attirer un très bon et un moyen, réussit peu ou prou à démontrer qu'il peut pénétrer ce marché et se pose la question un an plus tard d'en embaucher un troisième...

  • il embauche 5 vendeurs avec un contrat lui permettant de se séparer facilement de ces recrues en fonction de la réalisation de son plan d'affaires. Au bout d'un exercice, il fait le bilan: Le business marche bien, il se sépare du seul vendeur peu performant et en embauche 6 supplémentaires. Le business reste une très bonne cible mais les choses vont plus lentement que prévu, il se sépare des deux vendeurs les moins performants mais maintient les 3 autres chargés de "craquer" le marché. Le business se révèle non viable, il démantèle son équipe de vente sur ce secteur et est obligé de tourner la page...

Cet exemple, qui n'est pas applicable bien entendu qu'aux forces de ventes, montre, je pense, très bien pourquoi nos PMEs croissent moins vite que leurs homologues Européennes. Le troisième cas aurait été rendu possible par un "CNE non précaire" mais le CNE est aujourd'hui considéré par la majorité des gens comme un contrat précaire (donc refusé par les meilleurs) et par certains juges comme non conforme aux règles internationales... Mon patron de PME n'a donc que le choix entre le cas 1 et le cas 2 donc entre se planter ou développer son business à la vitesse d'une tortue ! En tout état de cause, on voit bien que pour adresser cet enjeu, la période de "consolidation" doit être supérieure à 1 an: 18 mois, 24 mois semblent être des durées "raisonnables".

Comme je l'ai déjà écrit dans "L'emploi crée la...", la principale raison pour laquelle les employeurs Français sont frileux à embaucher réside dans l'incertitude économique liée aux coûts de licenciements. Les partenaires sociaux sont censés travailler d'ici la fin de l'année sur le "contrat de travail unique" qui, s'il est créé, rendra obsolète le CNE. Ce contrat devra bien sûr permettre de corriger les erreurs de casting. Il devra surtout tenir compte du fait que l'on ne peut pas demander aux entrepreneurs de prendre des risques sur leurs plans d'affaires et d'être sanctionnés doublement si ceux-ci ne sont pas réalisés: une fois, et c'est normal, parce que les résultats ne sont pas totalement au rendez-vous et une seconde fois parce que se séparer de tout ou partie des salariés en charge de la réalisation de ce plan lui coûtent une fortune à licencier (au travers de transactions onéreuses ou de procédures prud'hommales incertaines et longues).

Il est difficilement imaginable de convaincre les sieurs Thibault de la Cégétaye ou Mr Mailly de Heffaux que le contrat unique devrait ainsi être un CDI

  • avec une période d'essai de 5-6 mois prolongeable une fois 2-3 mois

  • auquel on peut mettre fin, au delà de la période d'essai, avec un préavis de quelques semaines et par simple versement des indemnités légales de licenciement telles qu'elles sont inscrites dans les différentes conventions collectives et qui sont assez bénines pour une durée d'emploi de 1 ou 2 ans

  • en s'assurant, par ailleurs, que les éventuels recours aux prud'hommes seront tous déboutés sauf s'ils recèlent une faute grave ou lourde de la part de l'employeur (discrimination raciale ou sexuelle, harcèlement sexuel ou psychologique,...).
Difficile d'imaginer rallier nos chevalliers de la "syndicaillerie" à un tel projet (pourtant certainement conforme aux règles de l'OIT !) mais sûrement la bonne solution pour nos entreprises, le niveau d'emploi et les travailleurs salariés dans notre cher pays...

Raisonnable ou déraisonnable ?



2 Comments:

At 10:56 AM, juillet 10, 2007, Anonymous Anonyme a dit...

Bonjour JD,

Réactions sur vos suggestions en fin de votre post : OK pour les points 2 et 3, mais pourquoi diable une période d'essai ???

Voici quelques défauts que je trouve à la période d'essai : elle fausse la relation du salarié et de l'employeur (leur implication réciproque); elle n'est une protection ni pour l'employeur ni pour l'employé; elle crée une ségrégation entre les employés en période d'essai et les autres; il est artificiel de "décréter" une durée optimale.

 
At 12:10 PM, juillet 10, 2007, Anonymous Anonyme a dit...

Moi je suis plutôt d'accord à la période d'essai mais Corentin a raison, la période d'essai fausse le rapport entre employeur et employé.
Mais je ne comprends pas aussi le pourquoi de critiquer la justice au début de l'article? Elle fonctionne comme cela depuis des siècles et dans tous les pays, la strict application de la lois n'a jamais fontionné, l'indépendance du pouvoir judiciare dans ces décisions est du aussi à sa... un problème avec la justice???

Et le recour au prud'hommes est nécessaire quand on voit le comportement de certains patrons, j'ai travaillé deux mois dans un secrétariat du tribunal des affaires de sécurité sociale. Les juges en avaient marre, et montaient les sommes d'indémnisation à cause de certains abus. Il y a aussi le comportement de certains salariés qui sont atroce... Le recours aux tribunaux est surtout du à de mauvais conseils, qui amène les salariés ou les patrons devant les tribunaux avec un désistement massif... alors réduire le recours au prud'homme n'est qu'une partie de la solution, la législation du travail doit encore et encore être revu....

 

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