France Investissement: ni ange mais bête ?
La mise en place correspond à une promesse faite par notre pathétique Président qui, pour une fois, semble tenue et qui correspond à une enveloppe de fonds disponibles tout à fait significative puisque l'on estime actuellement le montant annuel des investissements en capital-risque et capital-développement à environ 1,5 milliards d'euros: France Investissement "abonde" donc de près de 33% pour théoriquement représenter, dès 2007, 20 à 25% des montants investis dans ce secteur.
Étant, comme dirait Godard, un "professionnel de la profession", je devrais me réjouir de tout cela et, pourtant, me voilà empreint du plus grand scepticisme. Analysons la situation...
De quoi parle-t-on ?
Pour ceux qui ne font pas bien la différence entre les différents types de fonds de capital investissement, je les encourage à se reporter à l'un de mes vieux "posts" qui, je l'espère, présente clairement les différents types d'acteurs: cf Ces méchants fonds d'investissement.
On parle ici de capital-risque et de capital-développement donc d'investissements minoritaires en fonds propres (augmentation de capital) dans des PME qu'elles soient innovantes ou en forte croissance (ou les 2): pour faire simple, les "gentils" capital-investisseurs qui misent sur les "gazelles".
Cet argent est-il vraiment nouveau ?
Les montants annoncés sont importants mais ne sont pas forcément de l'argent "frais". La CDC a un programme d'intérêt général d'investissement dans les PME qui représente environ 150m€ par an: France Investissement ne correspondrait ainsi qu'à un doublement de cette allocation annuelle et les 2 milliards nouveaux ne seraient en fait qu'un seul "nouveau" milliard.
De même, AXA, AGF, la Société Générale et les Banques Populaires sont déjà très actives sur ces créneaux: très difficile de dire si les fonds qu'elles vont apporter à France Investissement auraient de toute façon été levés et s'il s'agit vraiment d'argent "frais". Disons que le milliard est sans doute un demi milliard voire moins...
Chirac a donc tenu sa promesse des 3 milliards mais en agrégeant des sommes qui auraient, de toute façon, été disponibles pour une grosse moitié. Sacré Chichi !
Cet argent est-il utile ?
Une étude menée par pH Group montre que le nombre moyen d'employés dans une société Britannique créée avec un capital social d'au moins 100.000 euros est de 80 salariés en année 7 alors qu'il n'est que de 20 pour une société Française équivalente. Cette disparité énorme est totalement corrélée avec le fait que les apports en capitaux dont la société Britannique a bénéficié au cours de ses premières années d'existence sont en moyenne 5 fois supérieurs à ceux reçus par son homologue Française.
Il y a donc bien un absolu besoin de renforcer les fonds propres de nos PME.
La structure de France Investissement est-elle idoine ?
On peut dire avec plaisir que nous avons évité le pire: imaginez une structure nouvelle de gestion peuplée d'un bataillon fonctionnaires, de banquiers et d'assureurs (aucune de ces populations n'étant réputée pour sa connaissance du monde de la petite entreprise) et effectuant des investissements directs dans les PME. Une recette pour la catastrophe... qui a été heureusement évitée puisque France Investissement est, en fait, un "fond de fonds" qui investira dans des fonds et non directement dans les PME. Ouf !
Maintenant si les fonds récipiendaires sont des fonds gérés par des équipes de gestion existantes - ce qui sera vraisemblablement le cas pour une très grande partie - l'effet est quasi-nul car, comme je l'explique plus loin, les équipes existantes ont déjà suffisamment d'argent sous gestion.
Combien d'équipes de gestion nouvelles et d'un nouveau type seront-elles bénéficiaires de ces investissements ? That is the question.
Pourquoi les équipes de capital-risque et de capital-développement ont-elles déjà trop d'argent ?
Le mandat donné aux équipes des investisseurs institutionnels en la matière est assez clair en terme de critères à remplir par les PME dans lesquelles investir. Ces critères conduisent à sélectionner certains business models et certains montants à investir d'où découle théoriquement un certain profil de retours sur investissement.
L'immense majorité des équipes en place vous expliquera off que le problème n'est pas l'argent (qui est une commodité) mais bien de trouver les "cibles" et que celles-ci manquent cruellement: en tout cas, celles qui répondent aux critères de leur mandat de gestion.
D'où vient ce trop plein d'argent ?
La France, étant un pays à très/trop forte pression fiscale sur les classes moyennes et supérieures, la mise en place en 1997 des FCPI (Fonds Communs de Placement dans l'innovation) et en 2003 des FIP (Fonds d'Investissement de Proximité), tous deux assortis d'une réduction d'impôts de 25% des montants investis (dans la limite de 24.000 euros pour un couple, soit 6000 euros d'économie d'impôts) et d'une fiscalité sur les plus-values limitée aux prélèvements sociaux (environ 11%), a permis l'émergence et la pérennisation d'un certain nombre d'acteurs (pour une grande part issus de la "bancassurance") qui n'ont eu aucun problème à lever des sommes importantes: la réduction d'impôts couvrant, dans la majorité des cas, les éventuelles moins-values réalisées.
Hors de question ici de cracher dans la soupe, c'est grâce à cette attractivité fiscale que le capital-risque Français s'est hissé à la quatrième place mondiale (extrêmement loin derrière les USA et assez loin derrière la Grande Bretagne et Israël mais devant l'Allemagne ou la Scandinavie toute entière).
D'où vient ce trop peu de "cibles finançables" ?
La France n'étant pas un pays "à culture capitaliste", vous avez beau avoir des capitaux, il faut trouver des entrepreneurs et des projets à financer et cela ne se décrète pas par ordonnance !
Les "entreprises familiales" en viennent peu à peu à fréquenter les investisseurs mais la méfiance se dissipe doucement et l'entrepreneur "novice" n'est pas forcément convaincant au tout début de son projet. Ainsi, nombre de projets sont jugés "pas assez ambitieux" ou "pas assez avancés" par les investisseurs et restent dans un état de mini-entreprise fragile et vouée à une mort rapide ou lente une fois que les subventions diverses ont été dépensées. De même, un certain nombre de business models notamment ceux qui présentent une forte composante "services" sont considérés par les investisseurs comme pas assez scalable et ne trouveront que rarement, ou après une trop longue période de gestation, de l'argent pour financer leur croissance.
Il y a une solution pour réduire ce gap et permettre soit à des entreprises de franchir les premières étapes leur permettant ensuite de lever des sommes beaucoup plus importantes auprès des capital-investisseurs, soit à des entreprises ayant adopté un modèle réclamant finalement peu de capitaux d'assurer leurs développements: il s'agit des business angels.
Pourquoi et comment mettre les "business angels" dans la boucle?
Cette population définie de façon pertinente par Wikipedia présente plusieurs avantages: elle apporte aux projets entrepreneuriaux des sommes intermédiaires (de 10.000 à 100.000 euros par business angel) que les institutionnels ne savent pas gérer, elle amène de l'expérience en support du chef d'entreprise (et l'expérience n'est pas que la compétence des c...) et elle amène du temps (sans faire de vrai rapport entre le temps passé et l'argent investi comme le ferait un investisseur plus institutionnel).
Malheureusement, cette population extrêmement utile économiquement est fort limitée en France. Elle stagne à environ 3500 personnes recensées par les différentes associations et groupements de business angels à comparer à une population équivalente de 50.000 en Grande Bretagne. Elle a tendance à perdre chaque année quelques centaines de membres, parmi les plus gros contributeurs, qui rejoignent la Belgique, l'Angleterre ou la Suisse à cause de l'ISF et qui se gardent bien d'avoir la moindre activité en France de peur d'être re-qualifiés en résidents fiscaux Français. Enfin, elle est collectivement capable de mobiliser environ 250 millions d'euros par an alors que la puissance de feu de leurs homologues Britanniques est de 7 milliards d'euros !
La fiscalité est ici absolument clé puisque, non seulement il n'y a pas d'ISF (wealth tax) en Grande Bretagne, mais 40% des investissements réalisés par les business angels Britanniques via des Venture Capital Trusts (véhicule ad-hoc regroupant un pool de business angels) peuvent être déduits de l'impôt sur le revenu (income tax) et ce, avec un plafond de 300.000 euros (soit une réduction fiscale de 120.000 euros à comparer aux 6.000 euros de réduction d'impôts des FCPI/FIP !). On ne parle même pas en France d'exonérer de l'ISF les sommes investies par nos "investisseurs providentiels" !
Autre exemple de l'intervention publique, les Américains ont créé en 1958 (il y a près de 50 ans ce qui montre notre rapidité à implémenter les solutions qui marchent) les Small Business Investment Companies dans lesquels l'Etat Américain investit une bonne part des sommes mises en jeu, se garantit un retour minimal (5% par an par exemple) et laisse une grande part de la plus-value éventuelle aux investisseurs individuels. Astucieux non ? Nos amis Britanniques sont en train de lancer le même type de dispositif...
Que faut-il donc faire ?
Nous n'allons pas reprocher à Monsieur Dutreil d'essayer... Son "machin" paraît mal barré mais il peut facilement redresser la barre pour le rendre efficace. Finalement deux mesures simples feraient l'affaire:
- s'assurer qu'au moins un tiers des fonds de France Investissement sont investis dans des structures de type Venture Capital Trust ou Small Business Investment Companies regroupant les sommes que les business angels sont prêts à investir;
- exonérer de l'ISF les sommes investies par ces derniers dans ces nouveaux types de véhicules;
et permettre à un horizon très visible de multiplier les PME financées correctement et ainsi quadrupler les effectifs des PME concernées.
C'est simple mais cela veut dire avoir le courage politique de toucher à l'ISF et imposer à notre administration fiscale tatillonne (et souvent castratrice) des procédures d'agrément simples et efficaces de ces véhicules d'investissements nouveaux.
Du "machin de Chichi" on pourrait ainsi faire une "machine à croissance" !
Let's go for it !
Pour en savoir plus
4 Comments:
Encore fallait-il le dire! Bravo!
Mais un autre aspect decoule de cet ecosysteme inadapte : un vrai bon projet est aspire par vos homologues US; mais cela vous ne pouvez le dire, mais c'est bien la realite.
Il y a quelque cas de préemption par des VCs Américains mais cela reste très rare sur du "early stage" notamment en France qui n'a pas bonne réputation outre atlantique.
Il y a par contre une vraie compétition au niveau Européen et je travaille personnellement pour un investisseur Britannique.
Là où vous avez tout à fait raison c'est que, en fin de parcours, les meilleures sociétés sont rachetées par des industriels Américains. Je peux le dire...
Oui, vous complementez bien mon propos, nous voyons le probleme par les deux bouts, vous et moi.
Felicitation pour votre "engagement" et pour le temps que vous y consacrez, il vous faudrait plus de lecteurs, vos articles et analyses sont excellentes (en tout cas j'en suis egalement en cette meme comprehension).
J'ai un gros doute (motive) sur la culture du lieux, sur la possibilite "pratique" de faire evoluer les propensions spontannees des gens, outre le fait que le formatage des esprits a fait quelques degats et mal oriente bien du monde et en tous milieux. En outre les interactions maladroites des "machins" (et des gens qui sont derriere) ont fait (et font encore) bien des degats.
Excellente analyse, percutante. J'ai vécu tout ça de l'intérieur, en Irlande, Grande-Bretagne et aussi ici en France. Hum...
Diagnostic et suggestion à transmettre à votre homme politique favori!
Cdt
Pierre Guillery
(http://www.pierreguillery.com)
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