Rencontre avec prix nobel
L'Usine Nouvelle a eu la gentillesse de m'inviter récemment à une session avec Monsieur Albert Fert, Prix Nobel de Physique...
Interrogé par un panel regroupant deux patrons de la R&D de grands groupes, un patron de PME innovante, un patron d'université "autonome" (UTC) et moi-même, la discussion a duré près de 2 heures et est reprise dans l'édition du 13 décembre de l'Usine Nouvelle.
Albert Fert est le co-découvreur de la GMR (ou magnétorésistance géante) à la fin des années 80 en même temps que le co-récipiendaire Allemand de son Prix Nobel, Peter Grünberg. La GMR est un des maillons essentiels de la miniaturisation des têtes de disque dur ayant permis de mettre un iPOD (ou équivalent) dans la poche de très nombreux consommateurs. De même, la GMR est à la base du concept de MRAM (mémoire magnétique non volatile) permettant d'avoir des mémoires à accès à haute performance mais ne nécessitant pas d'énergie pour conserver les données stockées... On comprend aisément l'importance de leur découverte et la portée économique de ses applications...
Cette rencontre avec un "jeune homme de 70 ans" m'a beaucoup intéressé, m'a permis de confirmer deux convictions fortes mais aussi de réviser mon avis sur un point important...
Première conviction confirmée: la France a une vision nostalgique et colbertiste de l'innovation
Comme je l'ai déjà écrit, il y a longtemps, la vision Française de l'innovation (La France est innovante ?) est malheureusement conforme à celle de personnages comme Jean-Louis Beffa: point de salut en dehors des secteurs de la défense, de l'aéronautique, du nucléaire... Ces secteurs à cycle de vie long (10 voire 16 ans pour concevoir et réaliser un avion, une fusée ou un réacteur) génèrent effectivement des innovations liées à une performance particulière ou à une contrainte d'utilisation extrême mais le "graal" de l'innovation se trouve dans le "faster, easier, cheaper" bien plus pertinent dans le secteur des produits de grande consommation...
Le laboratoire de Monsieur Fert, pourtant co-financé par Thomson (à l'époque constitué de Thales et de Thomson Consumer Electronics), n'a pas vu sa découverte sanctionnée par un dépôt de brevet (alors que les Allemands l'ont fait). De même, Thomson CE n'a pas été en situation de "leverager" la technologie GMR qui lui aurait peut-être permis de devenir le leader mondial des micro têtes de lecture... C'est, en fait, IBM qui a utilisé le brevet Allemand et fait passer la technologie du laboratoire à l'industrie...
Concernant les MRAM, une start-up Française Crocus Technologies a repris le flambeau... Espérons que le capital-risque pourra permettre de faire mieux que nos mastodontes assoupis du CAC40 (ou de l'ex-CAC40)...
Concernant les MRAM, une start-up Française Crocus Technologies a repris le flambeau... Espérons que le capital-risque pourra permettre de faire mieux que nos mastodontes assoupis du CAC40 (ou de l'ex-CAC40)...
Seconde conviction confirmée: la différenciation des universités est absolument nécessaire
"Université, tristesse !" avait été mon "cri" lors de la sortie du livre de Jean-Robert Pitte, Président de la Sorbonne...
Sans vouloir trahir les propos de Albert Fert ou du Président de l'UTC, ces deux universitaires pourtant non pervertis, comme je le suis, par le capitalisme et l'économie de marché, semblent plus que confirmer que l'autonomie, la sélection et la recherche de l'excellence sont absolument nécessaires pour sortir notre université égalitariste et décalée de l'ornière dans laquelle elle s'est embourbée.
Sans vouloir trahir les propos de Albert Fert ou du Président de l'UTC, ces deux universitaires pourtant non pervertis, comme je le suis, par le capitalisme et l'économie de marché, semblent plus que confirmer que l'autonomie, la sélection et la recherche de l'excellence sont absolument nécessaires pour sortir notre université égalitariste et décalée de l'ornière dans laquelle elle s'est embourbée.
Le darwinisme fait qu'il devrait y avoir d'excellentes universités ainsi que des bonnes et des médiocres, que les élèves attirés par telle ou telle spécialité (différentes sciences, économie, droit...) essaient de rejoindre l'une des meilleures universités associée à ladite spécialité, que ces universités conscientes du "label" qu'elles offrent les sélectionnent et les amènent fièrement à la maîtrise ou au doctorat dont les diplômes sont synonymes à la fois d'excellence académique mais également de véritables passeports vers le monde du travail...
Une recherche incessante de compétivité internationale qui mettrait Grenoble ou Orsay dans le même classement que Berkeley ou Cambridge ou Paris-Dauphine dans celui où figurent Harvard ou Stanford ! Une émulation qui tirerait toutes nos universités vers le haut en lieu et place de l'égalitarisme "médiocrophile" qui règne sur nos campus...
Madame Valérie Pécresse a encore beaucoup de boulot...
Révision nécessaire de notre mode de pensée: les Docteurs es Sciences Français ne sont pas inemployables
Lorsque j'ai eu l'occasion d'embaucher des centaines d'ingénieurs informaticiens, je me rappelle fort bien ma défiance à l'égard des CV qui me parvenaient contenant 7 ou 9 années d'études universitaires et se terminant par une période de "thésard" ponctuée par un diplôme de Docteur es Sciences.
Cette défiance, que je confesse sans fierté, a été ébranlée lors de rencontres multiples avec des start-ups de la Silicon Valley qui fièrement annonçaient que parmi les 30 personnes de la R&D, plus de la moitié étaient des "PhD" (équivalent Américain des Docteurs es Sciences).
Albert Fert nous a explicitement confirmé que l'une des forces de l'industrie technologique Américaine réside dans sa connexion forte entre équipes R&D et centres de recherche. Cette connexion n'est pas organisée par telle ou telle agence fédérale, elle tient simplement au fait que les gens ont passé d'abord quelques années dans des laboratoires avant de rejoindre une entreprise privée, qu'ils ont gardé le contact avec leurs professeurs ou leurs condisciples et que, de ce fait, ils savent tout simplement travailler ensemble...
Il y a, bien sûr, des raisons qui poussent le décideur Français (souvent issu des Grande Écoles) a avoir les a priori qui étaient les miens: un docteur es sciences était vraisemblablement moins bon en mathématiques à 18 ans qu'un ingénieur issu d'une grande école, sa capacité de travail n'a pas été éprouvée par 2 ou 3 années de classes préparatoires et son adéquation au monde l'entreprise n'a sûrement pas été "programmée" de façon efficace puisqu'il a du subir le discours léni[ni]fiant de professeurs n'ayant jamais mis les pieds dans une entreprise et aimant à diaboliser tout comportement économique relevant de l'économie de marché...
Il est pourtant et d'ailleurs intéressant de voir que nos docteurs expatriés sur la côte ouest des Etats-Unis y réussissent formidablement bien, que certains y demeurent des chercheurs universitaires mais qu'une grande partie se retrouve chez IBM, Microsoft ou Google ou dans des start-ups ambitieuses financées par le capital-risque !
En cette période de pénurie de ressources humaines compétentes dans le grand secteur que constitue l'IT (internet, software, telecom, semi-conducteur...), les choses peuvent changer et peuvent le faire sans intervention aucune de notre Etat ou du gouvernement... Il suffit que chaque "Décideur Technique" (généralement diplômé d'une Grande École d'ingénieur) décide "d'adopter un (puis plusieurs) Docteur", lui laisse une période d'acclimatation au pragmatisme parfois frustrant de l'entreprise privée, lui fasse confiance quant à ses compétences et sa capacité à apprendre vite et recrée ainsi le lien massacré entre le monde de la recherche et celui des "entreprises à but lucratif"... Je suis sûr qu'une très grande partie de nos docteurs sauront y connaître la réussite...
Amis CTO, CIO, VP Engineering, R&D Director et autres "managers technologiques", à vous de jouer...
6 Comments:
Il y a du boulot... En effet.
Alors que M. Fert à la fin des années 80 faisait avancer le stockage d'information, dix ans plus tard l'affaire Gigastorage, futur fleuron du stockage de masse devait positionner le pays de Colbert en tête (au moins) dans le secteur! On sait ce qu'il advint et avec quelles aides, et par quels circuits.
Il y a soixantes ans l'histoire du transistron (transistron face au transistor)... Et j'en ai des centaines toutes aussi didactiques relativement à la façon pathétique de faire!
Le gros travail consiste à arriver à éliminer les interactions avec les bureaucraties et politicailleries, politi-canailleries aussi, qui font que même une performance excellente risque ici de mal finir!
Ou bien, un Français expatrié dans la Vallée comme moi se fera un plaisir d'embaucher des PhD français que les boites françaises ne veulent pas embaucher...
Vous n'en voulez pas en France ? Pas de problème, envoyez-les nous en Californie, on les embauchera a votre place. :)
Et il n'y a pas que la silicon valley... il parait meme, sans rire, que l'avenir est dans les nanotechnologies et biotechnologies I hear it on the grapevine
En fait l'equation est simple a decrire. Vous avez toujours et en tout un "bonhomme" qui est plus ou moins entoure, mais qui "tire" le systeme.
Ensuite il faut demultiplier. En ce pays c'est rare, et trop d'exemples montrent que la "captation technocratique" decrite par R. Peyrefite dans son livre il y a trente ans (le mal francais) est toujours active; ce qui veut dire spoliation organisee ou bien consentie par partage de vue socialiste... Dans cette facon de faire tres couleur locale, la performance de l'un doit etre partagee immediatement, mais comme l'autre aspect de la couleur locale est la quete de rente, cela revient toujours a une mediocre performance noyautee par un clan; clan souvent centre sur l'etat... sur des entreprises liees a l'etat... soit parce qu'on y pantoufle, soit parce qu'on y offre de facon discrete des "postes" a des descendants de hauts fonctionnaires ou obliges du systeme en question (une declinaison des charges de l'ancien regime - plum job -), bref tout un monde qui a un interet objectif et tacite a ce que ce soit comme decrit ici (fait du prince et opacite), un monde immuable, plat.
La performance est mediocre car elle ne depend aucunement des performances d'individus mais de la performance du systeme a se maintenir par omerta et cooptation sur criteres non devoilables, mais que je devoile ici.
En consequence, le retard technologique, le depart de ceux qui se sont heurtes a ce systeme qui d'une main cree des rentes au prix evident d'une segregation (de fait, si l'un existe l'autre vient avec).
Ce qui explique que meme si M Fert fit un pas decisif, le leader dans le domaine n'est pas ici, simplement on "utilisa" en une entreprise adoubee les performances nouvelles, sans demultiplication reelle dans le marche.
Si les francais s'accomodent de cela, c'est qu'en fait ils consentent, et bien du monde profite de cet etat "stationary".
La realite, celle connue des experts en intelligence economique (pas la declinaison francaise qui consiste a preserver les circuits etablis et decrits plus haut, mais le concept plein Americain qui est a finalite de differenciation competitive) est que le retard francais est enorme, que des "hauts parleurs" occupent le debat de facon trompeuse, que la realite est tres different des verites francaises construites. Ce systeme est a l'economie en voie de globalisation ce que l'alchimie est a la chimie, la chandelle a l'ampoule electrique (puisqu'on pretend eclairer le monde, parlons des lumieres...)
Des gens brillants, des decouvreurs, des inventeurs, pas d'interet reel pour la concretisation, l'orchestration dans le marche, un environnement
administratif-juridique-fiscal, et une culture anti-economique, voila le contexte.
La reaction de bien des porteurs de projets, est le depart justifie, totalement justifie, pas seulement pour raison fiscale, mais bien plus souvent que
reconnu, en fait on part chercher le systeme favorable, les programmes de recherche, les marches, et la culture economique/.
Le resultat local, ce qui reste, est assez interessant a noter. Le PIB, la Valeur Ajoutee donc est en faible croissance, bien en dessous de la moyenne
mondiale, et donc cela se mesure en relatif, une regression relativement à la moyenne.
Pour bien apprecier le "plantage", l'echec du systeme francais, lire :
Regional GDP per inhabitant in the EU27 (Eurostat)
Link:
http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=STAT/07/23&format=HTML&aged=1&language=EN&guiLanguage=en
"The three leading regions in the ranking of regional GDP per inhabitant in 2004 were Inner London in the United
Kingdom (303% of the average), the Grand Duchy of Luxembourg (251%) and Bruxelles/Brussels in Belgium
(248%). Among the 46 regions exceeding the 125% level, eight each were in Germany and the United Kingdom,
seven in Italy, five in the Netherlands, four in Austria, three each in Belgium and Spain, two in Finland, one
region each in the Czech Republic, Ireland, >>>France<<<, Slovakia and Sweden, and the Grand Duchy of
Luxembourg."
Luxembourg 251,0%
Ireland 141,4%
Netherlands 130,0%
Austria 128,7%
Denmark 124,5%
Belgium 124,4%
UK 123,0%
Sweden 120,3%
Germany 115,8%
Finland 115,5%
>>> France 112,3% <<<
Italy 107,4%
Spain 100,7%
14 others are below 100% 21503€ per inhabitant (from babies to retired)
AND
Many European countries have lower per capita GDP than the
majority of states in the USA, ranking all the states of the USA and the European countries in terms of per capita GDP (fixed money terms, PPP-adjusted) you
will compare France with Oklahoma or Arkansas (ranking 46-47th states)!
Once all this said, what's your conclusion? Failure ? Ideology of greatness ?
Que ce soit les politiques pathetiques de preservation des dinosaures, du tout faire pour eviter de nouveaux entrants, de la recherche (privee, car je
temoigne que l'on peut agir prive en ce domaine), tout a agi en convergence vers un colapsus!
Moi je veux bien embaucher des docteurs, lieu de travail Pantin. C'est un peu loin d'Orsay, mais de Jussieu il n'y a qu'un changement.
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