01 janvier 2008
par JDCh


2008: "subprime", récession ...


La crise dite du "subprime" apparue comme certaine et lourde de conséquences durant l'été 2007 est loin d'être terminée. Elle va sans doute "pourrir" l'économie mondiale de l'année 2008 ou tout du moins son premier semestre. Revenons donc sur les mécanismes générateurs de cette crise, sur leurs conséquences et les éventuelles leçons de micro-économie que nous pouvons en tirer...

Tout commence avec Mister John Doe, membre de la "lower-middle class" américaine. John et sa petite famille, locataires d'un appartement franchement pas terrible pour les $1,000 de loyer hors charges qu'ils paient, décident qu'ils seraient tellement mieux dans une maison dont ils seraient les heureux propriétaires... Mr & Mrs Doe gagnent à deux à peu près $3,500 nets par mois, ont déjà quelques $1,000 de mensualités de crédit à la consommation (2 voitures, l'électroménager, la "flatscreen TV", le PC...) qui courent et voudraient une maison qui vaut $250,000 ("3 bedrooms, 2.5 bathrooms"). En empruntant sur 30 ans à un taux fixe de 5%, il leur faudrait rembourser chaque mois plus de $1,400 soit plus de la moitié de leurs disponibilités. Leur banque leur a dit que cela n'était pas possible mais ils ont vu à la télévision des publicités qui parlent de mensualités allégées les 3 premières années et se rendent chez l'un de ces "mortgage brokers" qui leur propose le "non-refusable": ils n'auront à payer, pendant les 36 premières mensualités, que $1,000 par mois correspondant à un taux allégé de 5% et un remboursement totalement minimal du capital emprunté. A l'issue de cette période, le "broker" les en persuade, leur maison vaudra plus de $300,000, peut-être $350,000, et il sera facile de re-financer ce prêt sur d'autres bases. Sinon, le taux sera porté à 7+% et la mensualité incluant un remboursement du capital passera à plus de $1,600 et ce, pour les 27 ans qui suivent...

Mr Doe est Américain (donc optimiste, court-termiste voire "gambler"), comprend qu'il y a un risque mais se dit que l'immobilier n'a cessé de monter depuis quelques années et que cela n'a pas l'air de devoir s'arrêter et que 3 ans c'est très long... Ce serait bien le diable si, à la fois, pendant cette période de 3 ans, les prix de l'immobilier devaient stagner ou décliner et leurs revenus à lui et son épouse ne pas être améliorés de $600 !

Nous sommes en 2004 et Mr & Mrs Doe signent pour 3+27 ans et emménagent dans leur nouvelle maison...

En 2005 et 2006, les prix de l'immobilier dans le secteur où les Doe résident n'évoluent pas à la hausse au contraire, les revenus du couple progressent un peu mais moins vite que leurs encours de crédit à la consommation (il a fallu meubler la maison et équiper le jardin...) et nos amis se retrouvent à l'échéance des 3 premières années "propriétaires" d'une maison qui vaut moins de $250,000, un emprunt immobilier de $250,000 dont le capital n'a été que marginalement remboursé, leur "mortgage broker" et ses confrères qui leurs disent que re-financer leur emprunt est impossible et une mensualité qui passe brutalement de $1,000 à $1,600. Ils jettent l'éponge...

Comme ils ne sont pas les seuls, les prix de l'immobilier prennent une tendance plus forte à la baisse (loi de l'offre et de la demande), l'organisme prêteur exerce son hypothèque et saisit ("foreclosure") leur maison qui est estimée maintenant à moins de $200,000. Une fois retirés les "fees" liés à son défaut de paiement, Mr Doe n'est plus propriétaire de sa maison qu'il a du quitter et il doit toujours $70,000 qu'il remboursera sur 25 ans à raison de $500 par mois. Un incident de carrière pour lui ou son épouse et la "personal bankruptcy" (faillite personnelle) est avérée ! La suite pour la famille Doe sera alors du Mark Twain version 21e siècle...

Ce qui crée une crise, c'est bien entendu le fait que le cas des Doe n'est pas isolé (on trouvera, d'ailleurs, nombre d'histoires encore plus sordides avec des mazures à $50,000 achetées à crédit par des malheureux aux revenus extrêmement modestes): il y a eu, aux Etats-Unis, environ 600,000 "foreclosures" en 2006, sans doute plus en 2007 et il y en aura sans doute encore plus en 2008 (sachant que certains "subprime loans" sont en 5+25 au lieu du 3+27 des Doe). Cela fait des millions de maisons saisies dont la valeur à la vente immédiate ("firesale") est très faible puisque l'on ne prête plus dorénavant aux gens qui pourraient avoir envie de les acheter et dont la valeur est plus qu'incertaine. Des millions de maisons au prix initial de $200,000 pièce, cela fait des centaines de milliards de dollars qui ont fondu au soleil et dont personne n'est capable d'apprécier la valeur résiduelle !

Pour amortir le choc, le gouvernement Américain a encouragé le maintien dans les lieux des néo-ex-propriétaires et le fait de différer le fameux passage couperet du taux bonifié au taux majoré: en quelque sorte, il propose que ces victimes deviennent, dans l'intervalle, des locataires qui croyaient devenir propriétaires ! Au moins, la majorité d'entre eux ne vivront l'expulsion que dans quelques années et pourront s'y préparer d'ici là...

Une telle crise a, au delà de mettre à la rue ou de flouer lourdement quelques millions de personnes (ce qui est terrible pour les personnes concernées mais finalement assez bénin économiquement quand on sait que ces personnes disposent de revenus modestes et donc d'une capacité de consommation également modeste), révélé des mécanismes de titrisation (en anglais "securitization") des sommes prêtées. Ces véhicules d'investissement ("Mortgage backed securities" ou MBS) ont permis aux organismes prêteurs de financer les prêts accordés à ceux qui seront leurs victimes en attirant les banques du monde entier (ainsi que des fonds d'investissement de type "hedge fund") avec un produit à bon rendement prévisionnel (puisque les conditions du prêt au delà de la période initiale sont "usurières") et pourtant rassurant puisqu'ayant comme sous-jacent des hypothèques sur des biens immobiliers dont personne ne veut penser que la valeur puisse s'effondrer brutalement... Sauf que lorsque le cercle vicieux décrit plus haut s'enclenche, les souscripteurs des MBS (à savoir les banques Américaines d'abord et celle du monde entier ensuite) deviennent la deuxième sorte de victimes du mécanisme...

Ces victimes touchées au plus profond de leur "core business" (qui est de prêter l'argent des uns aux autres en garantissant aux uns qu'ils ne perdront pas cet argent et en s'assurant que les autres vont bien rembourser) ne savent pas combien cela va leur coûter: combien valent les maisons déjà saisies ? combien de défaillances va-t-on observer en 2008, 2009 et 2010 ? mystère et boule de gomme... Tant que l'on ne sait pas, on ne sait pas quelle banque peut faire faillite et, si on est soit même banquier, si on est capable de prêter de l'argent à court terme aux autres banques ou à moyen/long terme aux entreprises ou aux particuliers. La confiance dans le système est ébranlée et cela donne le fameux "credit crunch" qui peut conduire à une récession économique aux Etats-Unis et à un ralentissement général de l'économie mondiale...

Les auditeurs vont faire leur travail sur les comptes 2007 de l'ensemble des banques touchées. Tous seront tentés d'être rigoureux dans l'analyse des conséquences financières pour chacune de leurs banques clientes: l'affaire Enron leur a appris que le temps de la "conciliance" était révolu. Cependant, tous n'auront pas tous les éléments leur permettant de faire une mesure exacte des dommages et aucun ne souhaitera mettre véritablement en péril le bilan de clients aussi importants que les banques...

Nous aurons donc au cours du premier trimestre 2008 un certain nombre d'annonces rassurantes indiquant que les "write-off" passés et prévisionnels sont dorénavant "dans les comptes" et que l'affaire des "subprimes" est derrière nous. Nous aurons toujours, je le crains, au cours des trimestres suivants des annonces comprenant de nouveaux ajustements à la hausse des provisions passées au 31/12/2007. Tant que de telles annonces seront de vigueur, la crise de confiance sera là et la crise du "subprime" belle et bien vivace avec ses conséquences récessionnistes...

Un jour de telles annonces cesseront et seront plus tard suivies par l'annonce de plus-values exceptionnelles liées à la reprise du marché immobilier Américains (les fameuses maisons saisies qui trouveront à nouveau des acheteurs à un prix supérieur aux "book values"). Il en va ainsi des cycles économiques et des bulles financières (qui éclatent avant de toucher le ciel) et il y en aura d'autres...

L'hyper-puissance Américaine est optimiste, court-termiste et a l'esprit "gambler"... Elle vit à crédit aux crochets du monde entier tout en préservant le rêve Américain aussi bien pour le petit employé qui veut une maison avec "2.5 bathrooms" que pour l'entrepreneur qui veut devenir "billionaire"... C'est la force et la faiblesse de ce grande pays et de son économie puissante: rien ne devrait le faire changer...

Après tout, durant les dix dernières années, de nombreux Américains aux revenus modestes ont pu accéder à la propriété grâce aux "subprime loans" en surfant sur la hausse de l'immobilier, de nombreux "mortgage brokers" ont bien gagné leur vie (voire fait fortune) et les gérants ou souscripteurs de MBS ont connu de très beau rendements... Cette crise ne fait que révéler qu'à un moment donné, l'économie réelle et l'économie financiarisé ne peuvent diverger durablement: le prix d'une maison lambda dans une banlieue modeste de l'Amérique profonde est forcément corrélé au niveau de revenus de ceux qui voudrait y habiter...

De "grands sages" avait prévu cette crise en sous-estimant ou non ses conséquences. Elle était parfaitement prévisible mais chacun s'est simplement dit "let's move on" en espérant ne pas être le dindon de la farce. Culturellement, ceci n'aurait sans doute pas pu avoir lieu en Europe continental et en France en particulier: il est vrai que, chez nous, seul l'Etat a le droit de s'endetter au delà du raisonnable... Il n'arrive, d'ailleurs, même pas à payer les intérêts de sa dette sans emprunter à nouveau et augmenter ainsi son niveau d'endettement ! Le "subprime", c'est finalement "petit joueur" à côté !

Les Etats-Unis se remettront, on peut en être sûr, de cette crise qu'ils ont d'ailleurs fait financer, pour partie, par le reste du monde. Quant à l'Etat Français, l'asphyxie lente de ses finances publiques permet de maintenir l'illusion que nous sommes plus raisonnables que les ricains ! Est-ce vraiment le cas ? Vaut-il mieux une grosse crise de temps en temps ou un déclin lent et inexorable ?

Bonne Année en tous cas !


Rédacteur Agoravox



3 Comments:

At 10:55 AM, janvier 03, 2008, Anonymous Anonyme a dit...

Le fait d'être juge et partie pour les banques dans ce genre de prêts est sans doute aussi largement à l'origine de la défaillance du système. Il est assez injuste de leur demander de se prononcer sur la "viabilité" d'un endettement tout en leur faisant miroiter les intérêts, certes modestes, mais non négligeables mis bouts à bouts!

 
At 11:45 AM, janvier 04, 2008, Anonymous Anonyme a dit...

Excellente description. Bonne année.

En ce qui concerne la France, la bulle cachee est celle des retraites, car les retraites ne sont comptabilisées nulle part. Le principe est bien plus pervers, fonde sur des desequilibres demographiques et intergenerationnels de revenus et de dynamisme economique, gere comme le portefeuille de la menagere, sans impact (fond de pension) dans l'economie reelle.

Bien pire aveuglement a mon sens.

Bien plus partage que celui evoque qui ne concerne en fait qu'une classe d'accedants a la propriete aux usa, alors qu'ici tous sont concernes.

Pas plus raisonnable que celui des "ricains", ce pays connait et un declin et la promesse d'une crise bien plus enorme que celle evoquee, ceci venant sur un contexte economique de "larguage" de marginalisation.

Mais on va commencer l'annee de facon joyeuse "Tout va tres bien Madame la Marquise, tout va tres bien..." Repetez en coeur en forme de mantra, peut etre que la methode couet fonctionne!

 
At 6:42 PM, janvier 04, 2008, Blogger Unknown a dit...

Bonne année ... malgré tout !

Merci pour ce texte clair; j'ai enfin compris ce qu'était cette fameuse crise.
Et ça rassure pas !

 

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