Carlyle: out of business
Contrairement à ce que la brève peut laisser penser, The Carlyle Group n'est pas en péril mais l'un de ses affiliés domicilié à Guernesey et coté à la bourse d'Amsterdam depuis l'été 2007 est, lui, mis en liquidation suite à l'impossibilité pour lui de trouver un accord avec ses créanciers...
Carlyle Group perd évidemment les 15% qu'il détenait dans ce véhicule (valorisés environ 100+m$ au moment de l'introduction en bourse il y a 8 mois) et les 150m$ de prêt à court terme que le groupe avait prêté à son affilié lorsque les premières difficultés apparurent. Ce n'est pas 300m$ qui vont mettre Carlyle Group en faillite mais le fait que Carlyle Capital Corporation (CCC) soit, lui, en liquidation 8 mois après sa cotation ne peut qu'intriguer...
La première question que l'on se pose est de savoir quel était le modèle de CCC ?
En réalité assez simple... CCC disposait après son IPO d'un capital de moins d'un milliard de dollars, était endetté de façon monstrueuse (environ 20 milliards de dollars), avait acheté avec son capital et l'argent emprunté des titres basés sur des crédits hypothécaires notés AAA et vivait de l'arbitrage entre les revenus de ces titres et le coût de sa dette: grosso modo, elle plaçait à un peu moins de 6% et empruntait à un peu plus de 5% et comme cela portait sur plus de 20 milliards de dollars, cela aurait du faire, en base annuelle, 1.2 milliards de revenus et 1 milliard de coûts donc 200m$ de "marge brute" (avant frais de gestion de 25m$ environ par an prélevé par le groupe Carlyle) ce qui est plus qu'honorable pour une capitalisation de moins d'un milliard.
Bref, une machine censée dégager sans grand effort environ 15% par an de dividendes pour l'actionnaire...
La deuxième question est donc: que s'est-il passé ?
Comme tous les business d'arbitrage (et celui là était à méga effet de levier), le problème est que les conditions de génération de profit telles que décrites plus haut ont cessé d'être réalisées à la fin de 2007. Les titres hypothécaires (MBS) achetés par CCC, pourtant notés AAA par Standard & Poor's, ont perdu de leur valeur à la fin de 2007 parce que, faute de liquidité à placer, plus personne ne se positionnait à l'achat sur ce type de placement et la douzaine de banques prêteuses (dont Citigroup, Lehman Brothers mais aussi BNP Paribas et le Crédit Agricole), comme leurs contrats de prêt auprès de CCC les y autorisaient en cas de baisse des titres garantissant leurs prêts, ont réclamé leur dû à savoir soit des compléments de dépôt de garanties en "cash"("appel de marges"), soit, en dernier recours, la récupération en directe des titres.
Le coussin de sécurité de liquidité gardé par CC n'étant que de quelques centaines de millions de dollars (environ 250m$ au moment de l'introduction en bourse), les "appels de marge" ayant dépassé cette somme et étant susceptibles de continuer à augmenter, il aurait fallu que le groupe Carlyle apportent des garanties, sans doute au delà de ses disponibilités, pour éviter la liquidation de CCC. Et puis, malgré le risque réputationnel fort encouru pour le groupe (qui a déjà, à tort ou à raison, une réputation controversée), pourquoi risquer quelques centaines de millions supplémentaires en ayant une très forte chance de les perdre dans quelques semaines ?... Ite missa est...
Les actionnaires de CCC ont tout perdu. Les banquiers de CCC vont essayer de récupérer ce qu'ils peuvent des MBS détenus par CCC qu'ils ont préemptés... Ils feront sans doute partie des prêts à court terme que la Fed a décidé de lancer, pour ralentir ou inverser l'effet domino en cours, en injectant des liquidités dans le système bancaire contre des actifs non-liquides...
La troisième question qui vient ensuite est de savoir si l'introduction en bourse de CCC était une arnaque préméditée ?
Un certain nombre d'indices pourraient soutenir cette thèse comme la domiciliation à Guernesey et surtout l'introduction sur la bourse d'Amsterdam pour un véhicule gérant essentiellement des actifs Américains. On peut penser que ce sont des éléments fiscaux et légaux qui ont poussé à ce montage transatlantique. En tout cas, si cette introduction avait fait appel à l'épargne publique aux Etats-Unis, le groupe Carlyle serait aujourd'hui exposé à des "class actions" douloureuses !
On remarquera aussi que le prospectus d'IPO de CCC contenait une description précise des risques lourds et nombreux encourus par le souscripteur d'actions de CCC: les titres achetés par CCC qui pouvaient perdre de leur valeur et le coussin de sécurité qui pouvait s'avérer insuffisant ainsi que le levier sans limite cité à de nombreuses reprises dans le document faisaient de l'investisseur averti un gogo (s'il avait lu le document). Formellement, l'IPO ne fut pas mensongère.
On notera surtout que CCC, créée à l'été 2006, dont l'IPO a du se préparer au cours du premier semestre 2007 est passé entre le 31/12/06 et le 30/06/07 d'un portefeuille de MBS de 7 milliards à 22 milliards de dollars. Si Carlyle avait durant cette période anticipé la crise du "subprime" et ses dommages collatéraux, on voit mal pourquoi elle aurait multiplié par trois son exposition aux titres hypothécaires !
En étant totalement paranoïaque, on pourrait imaginer un "ami de Carlyle" qui a, fin 2006, 22 milliards de MBS dont il sait qu'il vont perdre beaucoup de leur valeur et qui demande à Carlyle de les "porter" dans un véhicule "ultra-leveragé" dont Carlyle devient via l'IPO un actionnaire minoritaire en charge de la gestion du dit véhicule. Ceci paraît quand même être un scénario fort compliqué, très incertain (l'IPO aurait pu échouer) et assorti d'un risque réputationnel très fort si on le compare à une cession par "petits paquets" de ces 22 milliards au cours du premier semestre 2007 !
Tout laisse donc à penser que le groupe Carlyle a monté une machine pour faire des sous et que cette machine s'est enrayée suite à la crise du crédit actuelle... Sans doute pas de malhonnêteté dans cette affaire mais beaucoup d'inconscience à jouer les apprentis sorciers dans un marché qui n'est pas le terrain de jeu naturel du groupe spécialisé historiquement dans le Private Equity.
Conclusion
“We must atone for our sins” ("nous devons expier pour nos pêchés") a déclaré, plein d'humour (?), David Rubenstein co-fondateur du Carlyle Group au Financial Times. Le châtiment pour The Carlyle Group se résume à quelques centaines de millions de dollars perdus et une réputation ébréchée une fois encore. A vous de juger si cela est suffisant. Une chose est certaine, comme disait ma grand mère, "money business will never die" ("le business de la finance ne mourra jamais") !
1 Comments:
Article intéressant, et qui est une des nombreuses illustrations de la faillite du système financier actuel.
Toreador
Enregistrer un commentaire