Capitalisme et antinomies présumées
Dans la lignée de la "Dictature du court terme", j'étais la semaine dernière à un événement dont les élites Françaises ont le secret intitulé "Croissance & Capitalisme, synonyme ou antinomique ?". A part que j'aurais sans doute mis un 's' à la fin de "synonyme" et "antinomique", je me suis dit que les invités étant de qualité (Bernard Liautaud, fondateur de Business Objects, Jean-Bernard Levy, Président du directoire de Vivendi et l'inénarrable Jacques Attali en tournée de promotion des travaux de la fameuse commission pour la libéralisation de la croissance...), il y aurait peut-être des choses intéressantes à y entendre.
En réalité, tout le monde s'accordant sur le fait que la croissance sur les 150 dernières années a été la conséquence de l'avènement du capitalisme au 19ème siècle, et que, même si la récession actuelle (larvée ou non) trouve son origine dans la "financiarisation" de l'économie, il n'existe pas de modèle non capitaliste qui ait pu démontrer la moindre capacité à générer de la croissance, le débat-titre a donc été rapidement abandonné, évoquant simplement une accélération de la vitesse de "circulation des capitaux" à comparer à la simple "accumulation des capitaux" de grand-papa, pour glisser vers "démocratie et capitalisme" et vers "développement durable et capitalisme"...
Concernant la présumée contradiction entre démocratie et capitalisme, tous s'accordèrent finalement à reconnaître qu'il s'agit, au contraire, de l'attelage le plus prometteur: le capitalisme ne pouvant reposer que sur un certain niveau de liberté individuelle (puisqu'il y a recherche du profit individuel) et la démocratie impliquant une forme d'autorité garantissant l'intérêt collectif. Attali, dans une formule bien à lui, diagnostiqua le malaise actuel par un simple constat "le marché est global, les démocraties sont locales"... Pas d'antinomie donc entre capitalisme et démocratie; Mieux, deux systèmes qui peuvent se faire la courte échelle comme la libéralisation des économies Russe ou Chinoise peut le laisser espérer en terme de progrès démocratiques consécutifs... Pas de gouvernement mondial certes, des démocraties "locales" beaucoup moins puissantes que dans le passé mais qui doivent pouvoir s'adapter à cette globalisation du marché et du capital surtout si elles deviennent continentales (USA, Union Européenne...).
On en arriva donc naturellement à l'intuitive contradiction entre développement durable et capitalisme. On entendit lamentations, alertes et voeux pieux mais rien qui ne paraissait être autre chose que du "wishful thinking" (aspiration vaine) tant il semblait que les invités souhaitaient maintenir la contradiction en question. Ce n'est pas parce que des fortunes colossales ont été bâties autour du pétrole et que cette énergie fossile va devenir rare que le capitalisme est anti-développement durable ! On pourrait même dire le contraire: c'est parce que le pétrole devient rare et que le marché est efficace, que, par exemple, Toyota a pris une longueur d'avance sur les véhicules hybrides. Le prix du baril flambe, la différence de prix entre un véhicule classique et un véhicule hybride est rendue de plus en plus acceptable au vu des économies de carburant envisagées, Toyota qui a, dans une logique purement capitaliste, été le pionnier de cette technologie va en dégager de substantiels profits en même temps que des économies de pétrole et d'émission de CO² vont être réalisées. On pourrait multiplier les exemples de ce type alors qu'il serait difficile de démontrer, via un exemple, une initiative "écologique" qui ait réussi sans s'appuyer sur le marché pour connaître un déploiement rapide et efficace ! Le Velib serait-il le succès qu'il est si la gestion de cet immense parc de vélocipèdes n'avait pas été confiée à une société privée et si celle-ci n'avait pas élaboré un "business plan" profitable supportant cette initiative ?
Au lieu d'opposer le couple capitalisme/marché avec tout ce qui pourrait être meilleur, nos politiciens devraient faire acte de pédagogie sur leurs rôles de protection du "consommateur" (au sens "marché" du terme) par leur capacité à s'assurer que le marché prend le relais, que la concurrence entre les acteurs est réelle, que les recours pour le consommateur sont disponibles et qu'une pression fiscale ou encore mieux d'opinion s'applique sur ceux qui ne respectent pas les règles fussent-elles difficiles à imposer dans une économie globale. Aucun Etat démocratique ne peut imposer à Nike de ne pas fabriquer ses "sneackers" dans une dictature peu respectueuse du droit des enfants: toutes les démocraties peuvent informer le consommateur et s'appuyer sur la concurrence pour que Nike n'ait d'autre option que de cesser de telles pratiques au risque de voir son chiffre d'affaires et ses profits s'effondrer tout de go. Aucune démocratie ne peut imposer à Starbucks d'acheter du café "commerce équitable" mais la multinationale de Seattle peut parfaitement intégrer dans son "business model" un café acheté plus cher à un producteur Guatemaltèque et y trouver un axe de communication marketing profitable...
Vous l'avez compris, je ne comprends toujours pas pourquoi politiciens et médias continuent à vouloir implicitement opposer des objectifs collectifs que la démocratie peut adopter avec l'outil formidable de changement et de déploiement que constitue l'économie marché capitaliste. C'est d'ailleurs uniquement sur la base de la création de valeur délivrée par cet outil que les systèmes collectifs peuvent trouver leur financement via taxes, impôts et prélèvements. C'est parce que la France vit encore dans cette éternelle nostalgie trotskiste que notre pays est incapable de générer la "durable croissance durable" dont il a tant besoin...
7 Comments:
Juste un mot sur l'exemple de Starbuck et du "commerce équitable". J'ai vraiment du mal avec cette dernière notion. D'abord, parce que le commerce est par essence équitable : si un échange n'est pas profitable aux deux parties, il ne se fait pas (en tout cas pas dans la durée). Sous entendre que tout le commerce "traditionnel" serait inéquitable est absurde (tous ces producteurs ne travaillent pas dans la durée pour des profits négatifs), et cela revient à dire que le commerce ne doit pas être soumis aux lois du marché. Rappelons que lorsque vous achetez un café "équitable", avec la bonne conscience de celui qui n'aurait pas exploité son fournisseur, vous retirez une opportunité de vente à son voisin, qui a le seul tort d'être moins cher, c'est à dire de jouer le jeu du marché, et de rechercher par une plus grande productivité, de plus faibles marges, d'augmenter la valeur ajouter générale du système. Autant je ne vois aucun problème à payer plus cher un café parce qu'il a de meilleur qualité gustative, parce qu'il est cultivé dans le respect de l'environnement ou je ne sais quel aspect différentiant objectif (et créateur de valeur ajoutée). Autant je ne vois pas pourquoi on voudrait le payer plus cher parce que je ne sais quel label occidental bien pensant a décidé que ce paysan aurait le droit d'être subventionné (c'est bien de cela qu'il s'agit) et que son voisin qui fait les efforts de productivité, lui se verrait refuser son café au motif qu'il le produit moins cher. C'est le rejet absolu du marché en tant que fixateur du juste prix et par là même, moteur de progrès et de croissance. Comment peut on avoir les yeux rivés sur la croissance et penser qu'on peut avoir une quelconque croissance sans augmenter la productivité et la valeur ajoutée par unité de travail ? Et comment peut on penser que l'avenir de l'agriculture mondiale est dans la subvention à de petites exploitations de produits locaux pour nourrir la bonne conscience du consommateur occidental, quand les distorsions continues du marché ces 30 dernières années (protectionnisme, subventions et autres PAC en tête) laissent aujourd'hui un quart de la planète au bord d'une crise alimentaire majeure ? Le commerce dit équitable n'a rien d'équitable : c'est une injustice faite aux plus productifs au nom de la bonne conscience du consommateur occidental. Ce n'est certainement pas le moyen de construire enfin une agriculture moderne dans les pays émergeants, capable de produire suffisamment et suffisamment peu cher pour alimenter la demande. Quel est ce modèle économique qui voudrait que nous subventionnions une agriculture de petits producteurs de produits de confort (chocolat, café etc...) dans les pays pauvres, et que nous subventionnions en parallèle une agriculture intensive de produits essentiels (céréales, lait ...) ici chez nous, pour mieux exporter ces produits de bases dans ces mêmes pays pauvres ???.... C'est marcher sur la tête et aller à l'encontre de ce que doit être une économie de marché.
ST.
@ST
Merci pour votre commentaire très juste et qui me rappelle à mon devoir de respect du "freemarket".
S'agissant du commerce équitable, je vois cela comme un (des) marché(s) de niche où le producteur et le distributeur sont directement connectés pour se partager la marge que des intermédiaires auraient pu prendre tout en engageant chacun des coûts supplémentaires du fait de cette relation directe. Le modèle n'est pas "scalable" car le distributeur ne peut se permettre cette connexion directe que sur des produits différenciants ou intégrés dans des produits à forte marge. Exemple: si Hediard lance un riz vietnamien hors de prix (sous prétexte qu'il est équitable et relève de telle ou telle technique de culture), l'influence de ceci sur le marché mondial du riz est nulle: aussi bien sur le besoin local au Vietnam que sur le prix de la tonne de riz achetée par les Africains.
Le problème général que vous soulevez est plus celui d'une agriculture "vivrière" en Afrique (ou autres pays pauvres) qui peut produire des produits de "niche" mais qui ne peut pas prendre le risque d'arbitrage planétaire de commodités contre des commodités (si les Africains mangent du riz importé et produisent du café exporté, l'effet éventuel de ciseau entre ces 2 commodités peut être terrible).
salut,
désolé j'avais loupé cet article...
Sur le commerce, je suis assez d'accord pour dire qu'il est forcément équitable, sinon ce n'est plus du commerce.
Sur le fond de l'article, et la question - fondamentale - que tu poses, à savoir pourquoi les médias et les politiques veulent systématiquement opposer "démocratie" et "marché", je pense que ça vient d'une profonde méconnaissance de ce que sont les marchés, et de ce qu'est le fonctionnement d'un marché (je n'y connais pas grand-chose, mais suffisamnet pour mesurer l'ampleur des dégats parmi la population française). ça vient aussi du fait qu'ils ne veulent pas que l'on puisse mettre en avant les marchés comme source potentielle de progrès social : à quoi servirait alors les politiques ?
Il faut bien vivre...
Je me demande si le client "commerce équitable" n'est pas le même qui critique le marché, le capitalisme, la mondialisation...
On en reviendrait toujours à la même problématique, "éternelle nostalgie trotskiste"
Pour qu'un commerce soit inéquitable, prenez de gros distributeurs aux reins solides d'un côté, et de l'autre des fournisseurs kleenex, c'est à dire remplaçables ad vitam eternam. D'un point de vue macroéconomique, il y aura toujours des fournisseurs et des distributeurs en parts égales. Au niveau microéconomique, beaucoup de gens en faillite qui se renouvellent en permanence, car la main d'oeuvre est facile. En temps de guerre on appelle cela de la chair à canon. Le commerce n'est équitable que lorsque les rapports de force sont semblables de part et d'autre. Evidemment l'équité mérite un référentiel pour s'entendre et il y en a plusieurs, celui de l'humain ou celui du marché.
Vous dites :
«D'abord, parce que le commerce est par essence équitable : si un échange n'est pas profitable aux deux parties, il ne se fait pas.»
Cela ne correspond pas à ce que j'ai vécu à date : sur le plan du travail je prend ce qui passe ou je crève; sur le plan de la consommation, je paye ce qu'ils demandent ou je m'en passe et je crève encore.
De mon point de vue, il n'y a rien d'équitable là-dedans.
@ Sanzalure :
"sur le plan du travail je prend ce qui passe ou je crève; sur le plan de la consommation, je paye ce qu'ils demandent ou je m'en passe et je crève encore."
ton propos est outrancier et relève du mensonge.
SUr le plan du travail, si tu ne prends pas ce qui passe, tu es au chômage. Ce qui est, tu en conviendra peut-être, très différent de crever...
Par ailleurs, personne ne force quelqu'un à signer un contrat de travail. C'est un acte volontaire. Tu peux accuser la société et le monde de devoir travailler, et vivre ta vie comme si tu étais un esclave, mais ça n'est pas vrai. C'est TOI qui signes le contrat, c'est TOI qui décides ce que tu achètes.
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