France Investissement existe...
Orchestrée par René Ricol (cf sa biographie), Président de son conseil d'orientation, j'étais tout d'abord satisfait de voir que cet organisme chargé de favoriser des synergies entre l'argent public et l'argent privé était "orienté" par un "entrepreneur expert-comptable", issu de la fameuse "société civile": un homme de réseaux certes très connecté au milieu politique (visiblement aussi bien à droite qu'à gauche) et non pas un haut fonctionnaire n'ayant jamais vécu dans une entreprise... Bien ou, en tout cas, mieux...
J'ai noté ensuite quelques chiffres qui sont pédagogiques et que je reprends ci-dessous:
- sur les deux millions et demi d'entreprises que compte la France, seules 60.000 ont entre 20 et 250 salariés et seulement 5000 plus de 250: ce sont ces formats d'entreprises qui manquent à notre économie;
- l'effectif moyen des entreprises Françaises est de 6 personnes contre 19 aux Etats-Unis;
- 4% des entreprises Françaises exportent contre 18% en Allemagne;
- 4000 business angels en France contre 40.000 en Grande Bretagne et 400.000 aux USA;
- poids du capital-risque et du capital développement par rapport au PIB: 2,5 fois plus important en Grande Bretagne et 4 fois plus important aux Etats-Unis qu'en France.
J'avais pas mal critiqué le "machin" lors de son lancement par le grand Chichi au travers de ce "post" et je me suis rendu à cet événement microcosmique avec les "a priori" que vous imaginez.
D'abord une confirmation générale que ces fameux 3 milliards ne sont pas neufs mais, pour une grande part, recyclés: sur les 2 milliards apportés par la Caisse des Dépôts, 1 milliard correspond au rythme actuel d'investissement de la Caisse donc 1 seul nouveau milliard; Pour le milliard apporté par le "privé" (AGF, Caisse d'Epargne, Natixis et SGAM suivis bientôt par AXA et Finama), difficile de dire si les fonds ainsi mobilisés l'auraient été de toute façon sous un autre label... L'entreprise France est donc dotée d'un milliard ou un peu plus sur 6 ans pour financer l'économie de l'innovation et de la croissance dont elle a besoin: si ça marche, ça n'est pas cher du tout (à peu près 5 fois moins cher que le déficit du régime des intermittents du spectacle...) ! Surtout que, si la réussite est au rendez-vous, cet argent reviendra bonifié dans les caisses puisqu'il s'agit d'investissements en fonds propres dans des entreprises et non de subventions ou avances pseudo-remboursables.
Comme je l'avais écrit à l'époque, en réalité, le problème n'est pas de trouver l'argent mais de trouver les projets dans lequel investir cet argent... Un milliard de plus ne sert donc à rien sauf s'il est mobilisé sur des projets d'un type différent pour lesquels l'offre de financement actuel ne correspond pas. Ainsi, puisque cet argent sera investi directement dans des fonds d'investissement ou dans des "fonds de fonds" publics ou privés, espérons qu'une bonne partie de cet argent frais ira sur des créneaux mal servis comme l'amorçage en capital-risque et le "petit" capital développement. C'est plus facile à dire qu'à faire car si on veut que ces différentes allocations soient "profitables" et faites suivant une "logique de marché" (ce qui me paraît très bien), il faudra trouver les équipes de gestion qui savent gagner de l'argent sur ces créneaux. Il y aura sûrement beaucoup de volontaires mais leur courbe d'apprentissage ne sera pas immédiate... et le ratio argent au travail sur temps passé ne leur sera pas favorable... Soyons optimistes et faisons confiance (méthode dite Coué), il en ressortira sans doute quelques bonnes surprises au milieu du saupoudrage inefficace ambiant.
Afin de ne pas toujours être le "party pooper", je tenais également à lister quelques points positifs issus de cette présentation:
- nous avons pu assister à un travail "main dans la main" de CDC Entreprises et OSEO (résultat de la fusion de la BDPME et de l'ANVAR). Bonne nouvelle de voir que ces organismes para-étatiques arrivent à travailler ensemble. Bonne chose de voir que OSEO résultat rare du rapprochement de deux organismes publics semble exister de façon cohérente. A quand la fusion de OSEO et CDC Entreprises ? Et si ce rapprochement avait lieu, à quand des économies significatives mises en oeuvre ? Là, je vais un peu loin... je m'arrête !
- la notion de "société de business angels" est maintenant explicite dans le discours de France-Investissement, les investisseurs dans ces sociétés profiteront du dispositif Madelin dont j'ai déjà dit qu'il était ridicule du point de vue des montants considérés (25% de 25.000 € contre 40% de 200.000£ pour son équivalent Britannique) mais cela va dans la bonne direction. France Investissement est même prêt à abonder sous forme d'obligations convertibles pour un tiers (et jusqu'à un million d'euros) dans ces véhicules d'investissement à condition que ceux-ci mobilisent 2 millions d'euros ou plus. C'est, encore une fois, la chose à faire... simplement, si on limite l'avantage fiscal à 25.000€ et que l'on veut des véhicules de 2 millions, il faut des sociétés de business angels regroupant 80 membres: de sacrées réunions de co-propriétaires en perspective ! La réflexion avance donc mais cela manque singulièrement d'ambition et de pragmatisme...
- l'opportunité d'investir dans des fonds spécialisés dans la "petite mezzanine" semble également faire partie du "scope". C'est très bien notamment pour le petit capital développement: l'effet de levier rendu possible par la disponibilité de tels outils (cf cette explication) devrait pouvoir rendre attractif et profitable certains investissements dans des sociétés gérées de façon sérieuse mais ne présentant pas tout à fait le profil de croissance attendu par les investisseurs en capitaux. A poursuivre...
Je finirais sur cette idée saugrenue mais illustratrice de notre culture économique, dont je n'avais jusqu'alors jamais entendu parler, qui consiste à donner des bourses à des étudiants qui s'engageraient à travailler dans des PME-PMI ! Disons que, c'est parce qu'on part de très très loin, que je ne vais pas dénigrer l'initiative. De plus, mieux vaut donner des bourses à ces jeunes gens qu'à ceux qui s'engageraient à devenir fonctionnaires !
Mais présenter le fait de rejoindre le monde des PME-PMI comme une sorte de contrainte voire de sacrifice me paraît plutôt tendancieux: un jeune diplômé talentueux qui rejoint une PME a sans doute un "job" bien plus excitant, autonome et intéressant que celui, prudent, qui préfère signer un contrat "planqué" dans l'un de nos fleurons du CAC40 ! Suis-je le seul à en être convaincu ?
Bref, France Investissement n'est pas la parfaite usine à gaz que je redoutais mais avouez, quand même, qu'il nous reste encore beaucoup de chemin à faire !
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3 Comments:
Depuis plusieurs semaines beaucoup d'observateurs décrivent de manière positive le financement des entreprises en France.
Pour une exemple un article des Echos du 27 févier (la France retrouve le goût du risque. Il en ressort une présentation plutôt optimiste de la situation du financement en insistant sur:
- l'augmentation des montants investis dans le capital risque,
- les effets positifs de la politique fiscale menée,
- le rôle des FCPI
- l'intérêt de l'organisme de financement France investissement.
Lorsque l’on aborde la situation du financement de la création d’entreprise on peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein.
Reste que dans la chaîne du financement de la création d'entreprises le parent pauvre est sans conteste le financement des dépenses de faisabilité technologique et commerciale. Cette étape est cruciale puisque l'entrepreneur cherche des fonds pour finaliser son produit, pour concevoir le prototype voire déposer un brevet.... et ce 1 à 2 ans avant de lancer véritablement la phase de commercialisation et de production.
Cette phase d’amorçage très risquée est peu appréciée par les sociétés de capital investissement qui préfèrent financer des entreprises "matures" (capital développement) ou des opérations de transmission (capital transmission).
Ce faisant combien y -a - t 'il véritablement de projets financés en phase d'amorçage ? 20,30,40,... moins de 60 probablement. Rapportée au nombre d'entrepreneurs en quête de financement, 500, 800 probablement plus de 1 000, la probabilité de réussite est faible.
Concernant la phase de lancement commercial et de production (phase de capital risque), elle aussi est délaissée. Car derrière les chiffres se cache une autre réalité:
* beaucoup de financements dans cette phase ne concernent pas de nouvelles entreprises mais des re-financements. C'est-à-dire des sociétés qui ont déjà été financées et qui bénéficient d’un second tour de table.
* la phase de capital risque à la française est particulière puisqu’elle ne correspond que peu avec la définition qui en est donnée généralement.
En effet la plupart des sociétés de capital risque, contrairement à ce que l’on pourrait espérer, demande à ce que l’entreprise dispose déjà d’un volant de chiffre d’affaires, avec une réponse classique : « nous ne sommes pas là pour permettre à l’entreprise d’évangéliser le marché, revenez nous voir lorsque vous aurez fait la preuve qu’il existe une clientèle ».
* les FCPI sont également dans cette démarche avec une difficulté supplémentaire: en dessous d’un besoin financier inférieur à 500 000 euros, pour la plupart, vous ne les intéressez pas. Ce qui, vous en conviendrez, limite fortement le nombre d’entreprises potentiellement éligibles.
En ce qui concerne la politique fiscale celle-ci est peu incitative car la plupart des mesures sont plafonnées.
* Le dispositif Madelin est loin d’avoir révolutionné le financement de la création d’entreprises.
Sinon comment expliquer que la France dispose de 10 fois moins de business angels que la Grande Bretagne, comment expliquer qu’un pays comme le Japon où il n’existait quasiment pas de business angels en 1 an a réussi à en comptabiliser plus de 3000 et ce n’est qu’un début.
Mais au Japon un particulier qui investit dans une entreprise peut déduire la moitié du montant investi de ses impôts qu'il devra payer au titre de ses plus-values. En France un couple marié pourra déduire au maximum 40 000 euros….
En ce qui concerne l’opportunité de création de la structure France Investissement, il est intéressant de se rapporter à une étude récente de la Caisse des dépôt et Consignation sur le comportement des sociétés de capital investissement.
Plusieurs indications:
• les sociétés de capital investissement n'ont pas de difficultés pour mobiliser des fonds auprès de leurs souscripteurs. Ceci confirme l’interrogation que l’on peut avoir sur l’intérêt de créer la structure de financement "France Investissement" qui va probablement apporter 2 milliard d’euros à des organismes qui en ont peu besoin.
• les sorties (revente des actions achetées lors de l’entrée au capital) sont réalisées dans de bonnes conditions: les plus values constatées au premier semestre 2006 sont supérieures de 25% à celles affichées sur la même période en 2005.
• l'étude constate également qu'il existe un goulot d’étranglement entre les flux d’entrées (les sommes collectées) et les flux de sorties (les investissements).
Ce faisant le financement des entreprises en phase de création ou de développement pour les PME n'est pas limité par un manque d'argent. Ce n'est pas un problème d'offre de financement mais plutôt un problème de distribution, d'allocation des fonds.
Ainsi créer une nouvelle structure de financement peut être justifiée si elle comble un manque dans la chaîne du financement de la création d'entreprises. C'est à dire le financement de:
• la phase d'amorçage (validation de la technologie, dépôt de brevet, prototype…),
• la phase de capital risque (lancement industriel et commercial du produit)
Or rien n’indique aujourd’hui que France Investissement va investir en priorité sur ces deux axes.
Derrière les mots il est urgent d’aller voir ce qui s’y cache car ne nous trompons pas lorsque l’on parle de capital risque en France il s’agit plutôt, sur le terrain, de capital développement…
Jean-Philippe
http://www.capitalsocial.fr
Jean-Philippe
merci pour votre commentaire.
Juste une remarque:
La différence entre capital-risque et capital développement est que le premier adresse des sociétés en perte au moment de l'investissement et le second des entreprises profitables mais qui ont besoin de capitaux pour croître.
Maintenant, vous avez raison l'amorçage et le premier tour de capital-risque ("early stage") sont les phases les plus difficiles à financer alors que les capitaux-risqueurs sont plus attirés par des tours ultérieurs sur des sociétés ayant déjà prouvé pas mal de choses ("late stage").
Ceci est d'autant plus vrai que les entrepreneurs sont ou non à leur première entreprise ("first time entrepreneur" vs "serial entrepreneur").
Merci Jean-David pour cet article très intéressant, et le commentaire de Jean-Philippe me parait aussi très pertinent.
Vu d'une start-up qui a rencontré pas mal de VCs durant ces dernières années, j'ai souvent eu l'impression que les sois-disant "capital-risqueurs" bloquent dès qu'il y a un risque. En fait c'est bien que le capital amorçage est beaucoup plus difficile à obtenir que le capital développement - surtout quand on est innovant !
J'essaye de voir le bon côté des choses : par soucis de survie ma société est devenue rentable et recherche donc maintenant du capital développement ;-)
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