15 avril 2007
par JDCh


Chômage, inflation, relations sociales et... mensonges

Un de mes lecteurs m'a interpellé récemment sur le thème "auriez-vous l'honnêteté de parler du NAIRU ?"... Son message sous-entendait que ce terme faisait partie du non-dit voire du tabou quand on évoque le taux de chômage en France...

J'ai essayé, dans ce "post", de, premièrement, démystifier ce fameux NAIRU et ensuite de compléter l'analyse sur la corrélation entre chômage, inflation et qualité des relations sociales.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je pense utile ici de citer une petite blague d'économiste que j'ai trouvée sur le site Econoclaste:"La première Loi de l'Economie est: pour tout économiste, il existe un économiste d'avis contraire. La seconde Loi de l'Economie est: ils ont tous les deux tort." Il est, en effet, utile de rappeler que la plupart des raisonnements qui vont suivre sont à ponctuer du fameux "toute chose étant égale par ailleurs" c'est à dire faisant l'hypothèse que l'on peut bouger à un instant donné un paramètre sans que les autres soient altérés et ce, au moins pour un "certain temps"...

Revenons donc au NAIRU (Non Accelerating Inflation Rate of Unemployment) sur lequel j'ai été interpellé. Ce taux de chômage au dessus duquel on évite toute inflation est, en fait, une version sophistiquée du NRU de Friedman (Natural Rate of Unemployment), qui tient compte à la fois:
  • du fait que le marché du travail est un marché d'offre et de demande: il existe un niveau de salaire en deçà duquel les gens, ayant un certain profil de compétences ou d'expérience, décident que cela ne vaut pas le coup de travailler ou au delà duquel les entreprises, ayant des effectifs d'un certain type, jugent qu'il n'est pas rentable d'embaucher

  • et des liens de ce taux avec l'inflation (si le taux de chômage baisse, recruter devient plus difficile, les salaires ont tendance à augmenter ce qui provoque un phénomène inflationniste) sachant que, depuis le choc pétrolier des années 70, les banques centrales (la Fed aux Etats-Unis, les banques nationales et, depuis 1999, la BCE pour l'Union Européenne) fonctionnent dans la hantise de l'inflation et augmentent les taux d'intérêt dès que le risque semble se révéler.

Le "grand secret" serait donc, selon nos amis économistes de l'alter-gauche, que les états (sans doute manipulés par les "puissances financières occultes") maintiennent volontairement un taux de chômage élevé pour éviter toute hausse des salaires et tout risque d'inflation: la Banque Centrale Européenne, avec son culte de l'Euro fort, serait donc le coupable cynique du faible taux d'activité dans notre pays. Il y a un chouïa de vrai mais, aussi et surtout, beaucoup de faux dans cette analyse...

  • Il est tout à fait exact que des pays comme la France, et c'est encore plus vrai pour l'Italie, coutumière des dévaluations du franc français ou de la lire italienne assorties de mesure de relance du pouvoir d'achat, ont perdu cette arme d'illusionniste utilisée régulièrement consistant à donner l'impression, pour un temps, aux salariés que leur pouvoir d'achat évolue favorablement, relançant à la fois la consommation et la capacité des entreprises à exporter et redonnant, de ce fait, un coup de fouet bénéfique à l'économie nationale. Rappelons tout de même que le phénomène est absolument temporaire pour ce qui concerne la consommation et qu'en ces temps de mondialisation, l'effet immédiat d'une potentielle dévaluation de l'euro combinée avec une augmentation du pouvoir d'achat entraînerait, à court terme, une augmentation du déficit commercial assorti soit d'une inflation importée (cas du consommateur qui prend plus sa voiture et consomme plus de pétrole), soit d'une déflation importée (cas du consommateur de "chinoiseries" à bas prix). Rien n'assure, en tout cas, que la compétitivité des entreprises serait suffisamment améliorée, à moyen terme, pour augmenter nos exportations au delà la zone euro et, par là même, permettre la création d'emplois.

  • Il est également utile de préciser qu'en cas de hausse des taux d'intérêt visant à contrer une éventuelle inflation, le territoire considéré (la zone euro en l'occurrence) devient attractif pour le placement de capitaux, qui ont une grande liberté de mouvement, et que cet afflux de capitaux est macro-économiquement inflationniste mais favorable à l'investissement et donc à l'emploi... La baisse des taux permettant un endettement plus facile des entreprises et des ménages étant également favorable à l'investissement et à la consommation, on voit bien que le rôle de Monsieur Trichet "ne consiste qu'en un réglage de curseur" pour optimiser entre plusieurs points d'équilibres en évitant ce que tous les acteurs économiques détestent à savoir l'instabilité.

  • La seule solution pour changer les grands équilibres serait un "véritable krach inflationniste", qui pourrait avoir ses vertus, mais qui pose une grande et une grosse question: la grande "est comment les populations les plus fragiles réagiraient-elles à une situation où les revenus ne pourraient vraiment pas suivre les prix pendant une période assez longue ?" la grosse est "comment être sûr de retrouver une zone favorable d'équilibre des grands paramètres et de pas connaître une inflation galopant durablement ?" Nous serons peut-être contraints à cette solution mais il nous faudra alors accrocher nos ceintures...

Pour en revenir au NAIRU, dont on a vu ici que le concept est en train d'être rendu obsolète par la mondialisation des échanges de capitaux et de biens, il a effectivement fortement évolué dans les 20 dernières années du siècle dernier accompagnant l'augmentation du coût total du travail et de ce que d'aucuns appellent le progrès social. L'ensemble des pays de l'OCDE étant globalement exposés aux mêmes lois macro-économiques, ce qui paraît véritablement intéressant d'analyser, c'est le "hit parade" du NAIRU: il constitue à la fois une résultante et un diagnostic sur le taux de chômage structurel des pays membres.

Pour 2006 (comparé à 1999), on obtient ainsi le sous-ensemble suivant:

  • Irlande 3.5 (contre 7.1 en 1999)
  • Danemark 4.4 (6.3)
  • Suède 4.6 (5.8)
  • Royaume-Uni 4.7 (7.0)
  • Finlande 7.2 (10.6)
  • Italie 7.9 (10.4)
  • France 9.0 (9.5)
  • Allemagne 9.1 (8.3)
  • Espagne 9.7 (15.1)
A l'exception notable de l'Allemagne (qui ne l'oublions pas a du assimiler l'ex-RDA), nous sommes l'un des pays où le "taux de chômage structurel" est le plus élevé et surtout celui qui a le moins baissé sur les 7 dernières années. Il faut dire que si la France se nourrissait de réformes structurelles réussies, nous serions tous affamés !

Le chômage dit "structurel" est en fait la résultante complexe de nombreux facteurs dont aucun n'est déterminant mais pour lesquels la France a une fâcheuse tendance a être parmi les mauvais élèves. Dans le désordre:
  • différence entre minima sociaux et salaire net minimum (SMIC net): trop faible, l'intérêt de travailler est faible ou contestable;
  • coût du travail (incluant les charges sociales) pour une qualification donnée: trop haut, le choix de remplacer les hommes par des machines ou de délocaliser le travail deviennent une évidence;
  • la non recherche de gains de productivité du travail (exprimés en euros et non en temps): typique dans les organisations publiques ou monopolistiques et malheureusement vraie pour "la France des 35 heures", elle conduit à des coûts et des prix élevés qui réduisent à la fois l'attractivité et la diversité de l'offre (donc à une moindre consommation ou capacité à l'exportation) et conduisent ainsi à un taux de chômage plus élevé (raisonnement contre-intuitif mais juste, déjà évoqué dans L'emploi crée la croissance... mais totalement à l'encontre de la pensée unique gaucho-syndicale);
  • durée d'indemnisation du chômage et taux de remplacement: trop longue et/ou trop élevé, l'urgence a rechercher un nouveau job est faible;
  • rigidité du droit du travail: trop contraignant, l'employeur évite d'embaucher par crainte des tracas et des surcoûts liés à un potentiel licenciement ultérieur;
  • représentativité syndicale: peu représentatifs, les syndicats défendent avant tout leurs adhérents et certains corporatismes plutôt que l'intérêt général de baisse du taux de chômage;
  • centralisation syndicale: non locales, les négociations entre employeurs et syndicats sont stériles et ne prennent pas en compte de façon flexible la "réalité du terrain".

Sur ces deux derniers points, il est clair que notre système syndical issu de la Libération, donnant le monopole national à quelques centrales syndicales représentant environ 8% des salariés est bien évidemment édifiante. En étant polémique, les dégâts directs et collatéraux, en terme de taux d'emploi dans notre cher pays, provoqués par la défense des cheminots, des ouvriers du livre et de leurs homologues dans les différents fiefs CGT sont non-mesurables mais, sans nul doute, immenses. Défense acharnée d'avantages acquis devenus aberrants économiquement, refus systématique du changement et notamment de toute notion de gain de productivité, ligne Maginot érigée autour de notre code du travail complexe et castrateur... Bref, je pourrais être intarissable sur le sujet... Ces comportements ne sont, en fait, que la partie visible du mal-être de notre socio-économie... Et c'est un peu là que je voulais en venir... A cette absence de qualité dans les relations sociales qui frappe notre pays depuis fort longtemps...

Celle-ci est brillamment expliquée dans le dernier livre de Thomas Philippon "Le capitalisme d'héritiers, la crise Française du travail". Le caractère conflictuel des relations entre employeurs et employés (la France arrive en 102° position juste devant le Venezuela et le Nigeria pour ce qui concerne la coopération employeur-employé !) est totalement corrélé, selon Philippon, à la hausse du chômage observée depuis 30 ans.

L'explication donnée est assez limpide: le capitalisme Français est historiquement un capitalisme familial qui a fort longtemps fondé son approche des relations avec les salariés sur un modèle paternaliste. Depuis sont arrivés les héritiers biologiques (moins légitimes que leurs aïeuls) ou les héritiers d'adoption (pour la plupart parachutés issus de l'élite technocratique) qui ont préservé cette distance et infantilisation dans les relations sociales à l'intérieur de l'entreprise. La défiance, qu'ils provoquent, n'aide pas à établir le dialogue, les deux côtés campent sur des postures stériles et la capacité à travailler harmonieusement tout en étant performant économiquement devient nulle... Le cercle vicieux de notre économie reformulé suivant une vision historique et sociale qui est assez convaincante...

Elle me rappelle la conversation que j'ai eu un jour avec un citoyen Britannique qui venait de passer 18 mois en France et qui s'étonnait de la façon suivante: "France should be bankrupt but it is not" ("La france devrait être en faillite mais elle ne l'est pas"). A la question "but do you know why ?" ("mais sais-tu pourquoi ?") que je lui posais, notre ami, après une assez longue réflexion, répondit "French elite is very talented and.. they are very good liars !" ("L'élite Française est très talentueuse et... ce sont de très bon menteurs !").

J'ai déjà abordé cette question du mensonge (cf Les mensonges...) et, plus j'avance dans mes réflexions, plus je la trouve centrale... et elle rejoint quelque part le titre de mon blog. La campagne électorale ayant été totalement décevante pour ce qui concerne la mise en place d'un vrai dialogue entre les candidats face aux Français sur les vraies questions économiques, il ne me reste plus qu'à exhorter les uns et les autres.

Aux hommes et femmes politiques, arrêtez la démagogie et la morale à deux balles. Réformez le code du travail et la représentation syndicale, baissez les charges sociales pour les entreprises qui embauchent et laissez respirer ce pays qui en a tant besoin...

Aux grands et petits patrons et aux "managers" en général, même si l'immense majorité d'entre vous gère dans l'intérêt de son entreprise, arrêtez de "pipeauter" (par omission ou non), de prendre vos collaborateurs pour des enfants, d'agir en douce en mettant vos salariés devant le fait accompli et de gérer sans expliquer...

A ceux qui ont une boussoule qui donne le nord économique et qui ne sont ni hommes politiques, ni patrons, n'ayez plus honte de dire à vos collègues que vous avez compris quelles sont les règles du jeux et quelle voie suivre pour s'en sortir voire même réussir. Dîtes leurs que vous avez une envie non coupable de réussir...

Aux autres, ne hurlez pas à la mort dès qu'on vous parle d'économie, de productivité, de compétitivité, de flexibilité, de performance... et même de restructuration ou de fusions-acqusisitions. Soyez lucides économiquement, adoptez la boussole qui donne le nord et vous aurez le droit d'être exigeants !

Pour être clair et reboucler avec le fameux NAIRU, si la reconstruction d'un dialogue social de vérité nous conduisait à un taux de chômage beaucoup plus faible avec une inflation déclenchée par une hausse intelligente des salaires nets, je crois que nous serons tous plus heureux !



4 Comments:

At 10:49 PM, avril 15, 2007, Anonymous Anonyme a dit...

Amen.

JDCh for president.

 
At 12:59 PM, avril 16, 2007, Blogger BLOmiG a dit...

ou plus problablement, Sarkozy, ce qui serait déjà pas mal dans l'optique proposée dans ce très bon billet.
Dire la vérité est indispensable. Le seul qui s'y ose un peu est N. Sarkozy.
Nous verrons déjà dimanche prochain ce qui sort des urnes.
a+, et bravo pour cet excellent billet !

 
At 10:24 AM, avril 17, 2007, Blogger Libéralisateur a dit...

Que n'ai-je connu plus tôt votre excellent blog !

Mais pour sortir de ce cercle "vraiment vicieux", comment le faire avec les mêmes. Comment faire autrement que par un clear-all quand il s'agit, à la fois, de changer la représentativité syndicale, le code du travail et les durées d'indemnisation du chômage pour que le marché du travail soit justement libre et capable d'ajustement avec la réalité. Ce blocage syndicalo-gauchiste qui veut à la fois défendre les "avantages" de ceux qui ont du travail et donner de l'assistance sur le budget de l'Etat à tous ceux que ce système a privé de travail est létal pour la France.

Quant à penser que celui et lui seul qui a fait reculer "la France" contre ces mêmes syndicats en février-mars 2006 pour le CPE qui était une bleuette par rapport à ce qu'il importe de faire, puisse être le Président qu'il nous faut, il y a beaucoup de "moutonnerie" dans l'air.

Je pense qu'un des facteurs clé de succès pour tout bouleverser est d'en finir avec ces oligarchies des traditionnels partis de gouvernement qui sclérosent toute innovation économico-politique avec le système des investitures accordées aux seuls "godillots" passe, par ne pas voter pour ces UMP-PS-UDF à cette élection de façon à "libérer" de leurs emprises, ceux qui veulent une autre politique pour la France. Forcément libérale.

 
At 7:14 PM, juillet 17, 2007, Anonymous Anonyme a dit...

Une sécurisation des parcours bien ordonnée et bien pensée pourrait contribuer à juguler un certain nombre de désordres imputables aux systèmes. Ainsi,une sécurité sociale professionnelle permettant à chacun de faire jouer son droit à la formation en offensif et non en défensif, comme c'est la cas actuellement, pourrait limiter l'attrait à se laisser couler dans un chômage assisté et passif, uniquement parce que "je le vaux bien","que j'ai payé pour" et "que de toute façon, mes droits à la formation sont contingentés".

Actuellement, ce "droit de tirage" profite surtout aux salariés de plus de cinq ans d'expérience, un droit qui cesse pour ainsi dire immédiatement quand vous devenez chômeur, sauf si vous avez une passion particulière pour les métiers en tension.
Une mutuelle de sécurisation des parcours, alimentée par un prélèvement direct sur les salaires et complémentée par l'assedic, l'Etat, les Régions, confèrerait une permanence à se former, faire un bilan de ses compétences, solliciter un accompagnement à l'emploi. Aujourd'hui, le Congé Individuel de Formation est encore trop souvent utilisé pour réduire les incertitudes de carrière. On bétonne sur les stages diplômants, uniquement pour le cas où.... des formations coûteuses dont l'utilité est parfois douteuse.

Une telle réforme est tout à fait concevable, dans la mesure où elle est hautement susceptible d'aboutir à une économie d'échelle au final.

 

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