12 mai 2006
par JDCh


La France est innovante: mazeltov !

Les annonces récentes faites par l'Agence pour l'Innovation Industrielle (AII) m'ont donné envie, à travers ce "post" de parler d'un sujet qui occupe mon quotidien à savoir le financement des Jeunes Entreprises Innovantes (JEI) en France.

Avant de parler de la situation hexagonale, faisons un petit détour par Israël où j'ai dû me rendre quelque fois depuis que je fais ce métier car Israël est devenu une place incontournable du capital-risque mondial (numéro 3 après les US et la Grande Bretagne). Israël, qui ne compte que 6 millions d'habitants, voit converger vers ses entreprises de technologie plus de 1 milliard de dollars d'investissement en capital-risque (quand la France en observe un peu plus de 500 millions d'euros soit environ 15 fois moins "per capita").

Au delà des interrogatoires tracassiers menés par le personnel de El-Al (avant d'embarquer) ou la "police des frontières" (notamment à la sortie du pays) et de l'émotion intense ressentie lors de la visite de Jérusalem, ce qui frappe en Israël est l'extraordinaire dynamisme de leur industrie technologique.

L'entrepreneur Israélien, et cela est sans doute dû au contexte géopolitique dans lequel se trouve le pays depuis sa création, est impatient (il a envie de réussir et de faire de l'argent vite voire très vite) et n'a peur de rien (plus le problème adressé est complexe, plus la route vers le succès est de type "face nord", plus son énergie et enthousiasme est important). Ce mélange d'impatience et d'ambition donne un modèle de management d'entreprises "alla commando" qui convient bien au secteur des technologies.

En plus du secteur de la sécurité dans lequel le pays excelle grâce à une bonne fluidité (en grande partie facilité par le fait que le service militaire dure entre 21 mois pour les femmes et 36 mois pour les hommes) entre les organismes de recherche d'état ou militaires et l'Industrie, Israël a su se développer dans le secteur des télécoms, du software, des semi-conducteurs et de l'instrumentation médicale avec de fort beaux succès à la clé: une cinquantaine de société leaders mondiaux (souvent cotées au Nasdaq comme Amdocs, Mercury, Checkpoint... on compte moins de 5 équivalents Français) et des centaines de sociétés rachetées par les leaders Américains (comme Intel, Cisco, Motorola, IBM... qui ont d'ailleurs pérennisé des centres de R&D très importants dans ce pays où la main d'oeuvre est environ deux fois moins chers qu'en Californie alors qu'ils rechignent à acheter des sociétés Françaises puisque notre message politique est que nous ne le souhaitons pas et que notre droit/coût du travail ne les encouragent pas à garder des équipes de R&D en France).

La technologie et l'innovation constituent le "core business" du pays et pourtant l'intervention de l'état semble simple et concentrée. Un certain nombre de dispositifs d'allégements/exonérations fiscaux rendent le démarrage des entreprises plus compétitifs et un bureau du Ministère de l'Industrie, du Commerce et du Travail dirigée par le Chief Scientist of Israël, que j'ai eu la chance de rencontrer pendant une heure l'année dernière, joue un rôle crucial.

Dr Eli Opper entouré d'une petite dizaine de collaborateurs investit sous forme de subventions dans une grosse centaine d'entreprises par an environ 100m$. Il remet en main propre, après une présentation formelle du projet, un chèque allant de 10.000$ à 10.000.000$ au chef d'entreprise et garantit une cohérence générale qui semble extrêmement efficace (par exemple, les plus gros chèques sont allés pendant un moment au secteur des biotechs dans lequel Israël se trouvait être peu actif et qu'ils avaient décidé de privilégier).

Sans parler encore de l'AII mais simplement de l'Oseo-Anvar qui joue ce rôle en France, on notera quelques différences sensibles:
-l'effectif de l'Oseo-Anvar est de plus de 500 fonctionnaires répartis sur tout le territoire;
-les sociétés bénéficiaires d'avances remboursables se comptent par milliers (effet "saupoudrage")
-il s'agit principalement d'avances remboursables sous conditions donc d'un instrument compliqué;
-les montants sont très peu différenciés (moyenne vers 100.000€ soit presque 7-8 fois par société moins que l'équipe du Dr Opper) pour un montant total de l'ordre de 250 m€;
-l'entrepreneur reçoit cet argent comme un remboursement de "sécu" (je caricature un peu) pas vraiment comme un encouragement solennel donné par une haute personnalité de l'état...

Venons-en à l'AII créée suite au rapport Beffa dont j'avais lu des extraits et qui m'avait paru fort décalé par rapport à ma perception de ce qu'est l'Innovation. On avait l'impression à sa lecture que la compréhension de ce concept n'avait pas évolué depuis la fin des 30 glorieuses et les projets type Ariane, Airbus, TGV, Centrales Nucléaires...

Pour ce qui me concerne, l'Innovation aujourd'hui "tient dans la poche" et elle ressemble à un téléphone portable. Elle doit répondre à deux questions illustrées comme suit:

-comment mettre dans un appareil plus puissant qu'un PC un téléphone, une télévision, une caméra vidéo, un lecteur MP3, un bureau mobile (et que sais-je encore ?) en maintenant le coût total en dessous de 100$ (afin que le marché soit un marché de masse incluant la population Chinoise ou Indienne) ?

-comment rendre toutes les fonctionnalités faciles à utiliser, utilisables et utilisées par Monsieur Toulemonde ? (ce second point souvent sous-estimé est absolument crucial et explique, par exemple, les succès du Blackberry ou de l'iPod) ?

Le schéma de propagation de l'Innovation n'est pas le fait de notre culturel colbertisme, il suit celui de l'Internet: les infrastructures se déploient après que les usages par le consommateur final se soient développés. J'avais donc assez peur que notre nouveau "machin" raisonne à l'envers !

Les premiers projets lancés par l'AII semblent, pour ceux que je peux juger, adresser de bons sujets. Pour n'en citer que deux, il existe encore des tas de choses à inventer en matière de recherche sur internet (et sur internet mobile d'ailleurs) et le déploiement pervasif de la télévision numérique (en situation de mobilité notamment) est un "vrai sujet".

Les annonces faites par l'AII appellent cependant les remarques et les doutes suivants:

-les sommes annoncées sous forme de subventions et surtout d'avances remboursables semblent pharaoniques. Est-ce un effet d'annonce ? y-a-il une véritable gradation dans les investissements réalisés ? quel est le ratio entre coût de gestion et réel effort de R&D de ces programmes ?...

-ces programmes impliquent des start-ups (NdR: comme Dibcom dans laquelle mon équipe a investi l'année dernière) mais sont "leadés" par des "gorilles de 800 kilos". Quelle part va véritablement aller aux innovateurs (i.e aux start-ups) ? quelle est la légitimité d'un Thomson ou d'un INA sur les problématiques de "search" ? va-t-on vraiment raisonner "innovation" vs performance scientifique et technique ? "innovation produit" vs simple "copycat" ?...

J'admets qu'il vaut mieux trop d'argent que pas (d'ailleurs le budget de l'AII sur 10 ans ne représente que 2 ans de déficit du régime d'allocation chômage des intermittents du spectacle !), que du point de vue "éducationnel" ces annonces sont pédagogiques tant vis à vis du grand public que des grandes entreprises et que je ne vais pas jouer, moi aussi, les "party poopers".

A ce propos, pour reparler de Dibcom, start-up Française leader mondial dans les "chips" permettant de recevoir la télévision numérique en situation de mobilité, primo, il faut se féliciter d'avoir un tel leader sur notre sol et, secundo, il est amusant de rapporter un coup de fil que j'ai eu récemment d'un acteur Français majeur du secteur "télécom & média" qui se demandait si cela n'était pas risqué de travailler avec une petite société comme Dibcom (qui a pourtant levé 24m€ l'année dernière et a signé des accords stratégiques avec de prestigieux acteurs globaux qui ont choisi Dibcom parce que simplement c'était le meilleur partenaire au niveau mondial) et s'il n'avait pas intérêt à faire des choix techniques plus conservateurs en travaillant avec un acteur établi et Américain: comme quoi la pédagogie est nécessaire !

Nos hommes politiques savent qu'une vraie économie de l'Innovation pourrait "booster" notre croissance d'un facteur 50% (ou plus) et, il faut être honnête, les DSK ou les Dutreil n'ont pas chômé sur ces sujets. Les acronymes FCPI (Fond Commun de Placement pour l'Innovation), JEI, CIR (Crédit Impôt Recherche)... correspondent tous à des mesures qui vont dans le bon sens: elles sont, à l'image de l'AII, souvent imparfaites et surtout compliquées et/ou coûteuses alors qu'elles pourraient être bien plus simples et flexibles. Je ferai probablement l'inventaire des améliorations possibles de tous ces dispositifs dans un prochain "post"...

Un seul sigle semble toujours tabou: ISF... mais là j'ai déjà fait mes propositions ! (cf Petite proposition extravagante). Nous en sommes toujours à la phase "éducationnelle" d'apprentissage de ce qu'est l'économie de l'Innovation et cette phase sera d'autant plus longue que ceux qui savent "vraiment" continueront de quitter notre pays...

Rédacteur Agoravox



10 Comments:

At 11:05 AM, mai 12, 2006, Anonymous Anonyme a dit...

Ceux qui savent vraiment quittent le pays. Ils savent ce qui est dit plus haut (l'essentiel ou bien tout ou bien qqs cas supplementaires)et ils savent egalement le cote obscur en economie du pays. Si certains cas interessants (succes) peuvent etre evoques, ils doivent tous leur survie a des acteurs externes au pays; ceux qui ont compte sur des "logiques internes" se sont tous fait spolier (par le systeme de collusion)

[voir le lien sur cette page vers h16 et son excellente fable reprise des trois petits cochons lire le cas du troisieme cochon francais, ce cas est loin d'etre unique, il y a meme pire impliquant une celebre banque et ses filiales dites de financement de l'innovation... Qui est curieux peut trouver tout a ete publie, ou presque...]

Donc entrepreneurs innovateurs, ou bien partez, ou bien trouvez un appui exterieur, par exemple situe a Londres ;-), n'ecoutez jamais les "machins", sauf a vous en servir comme complement mais pas comme "leader"...

Excellent article JD! Excellent!

 
At 12:18 PM, mai 12, 2006, Anonymous Anonyme a dit...

L'Anvar un jour atteint vingt ans, "ceremonie" lors de journees de l'innovation, une declinaison du "machin". J'y etais! Un officiel du systeme vint a la tribune; l'Anvar se ventait de 20000 emplois crees ou maintenus, en 20 ans! Succes ou echec?
Echec, car les emplois maintenus etaient dans des filiales des dits "gorilles" de votre article, et souvent les aides y arrivaient comme impot negatif sous alibi "innovation", pour "maintenir" (la filiale en depit de son inadaptation...).
Je doute que ceux qui on manipule les chiffres de cette facon pendant plus de trente ans en arrivent a autre chose que de dupliquer ce qu'ils ont toujours fait! Il y a ce qui se voit et ce qui ne se voit pas (car joliment enrubane et farde).

 
At 3:52 PM, mai 14, 2006, Blogger addictedtofinance a dit...

article tres très intéressant. et vivement le prochain!

"-l'effectif de l'Oseo-Anvar est de plus de 500 fonctionnaires répartis sur tout le territoire;"
>>avantage de la capilarité avec les projets innovants, non? il reste "simplement" à retirer à cette structure sa lourdeur.

"-les sociétés bénéficiaires d'avances remboursables se comptent par milliers (effet "saupoudrage")"
et on critique quaero qd il reçoit 200 d'euros... (cf loic le meur et jeff clavier notamment et pierre chappaz aussi je crois)

"-il s'agit principalement d'avances remboursables sous conditions donc d'un instrument compliqué;"

sans ces conditions, "on" crie à l'atteinte au ppe de la concurrence à Bruxelles et aux cadeaux aux riches chez nous... dur dur de trouver le bon système!

sur les sommes "pharaoniques", comparons les avec le budget annuel r&d de google et ... pleurons!

pour nous consoler regardons le nombre croissant de start-ups bien de chez nous à innovate europe cette année.

espérons que cela ne fait que commencer...

 
At 5:29 PM, mai 14, 2006, Blogger JDCh a dit...

Merci à Francois-Albert.

Quelques remarques:
-je ne crois pas que 200m€ injectés dans un consortium hétéroclite de vieux "gorilles" associés à une "gazelle" (Exalead) soit efficace. Sur ce point, je suis en phase avec Chappaz & co.
-sur les avances remboursables, je prends votre point, ma critique principale est le "saupoudrage" et l'"incohérence".

Bonne fin de WE

 
At 9:31 AM, mai 15, 2006, Anonymous Anonyme a dit...

Non pas "saupoudrage" et incohérence" mais illusion et bonne conscience.

Il y a bien la mission officielle (hype marketing) et celle cachée (ce qui est réellement), telle que décrites comme commentaire plus haut.

Que viennnent faire les poids lourds de l'exception en ces lieux? Bonne question, chercher a y répondre prouve l'erreur d'époque, comme la continuité de la mécanique (asymétrie visant en fait à prolonger les "gorilles" en question).

Quant aux montants, ils sont sans rapport avec la nécessite surtout celle du courreur "largué" qui devrait faire en effort décuplé par rapport au leader pour refaire son retard! Les agences en question vivront bien, les poids lourds seulement par leurs filiales seront irriguées et les start-up devront bien se méfier.

Il y a dans cette affaire une question d' "emfumage" plutôt qu'une question d'innovation; ce n'est pas cohérent avec le contexte local, ni avec celui global.

Cherchons d'autres pistes que ces machins où en fait l'Etat met ses "controleurs" et "orientateurs" éclairés comme il se doit.

In fine cela finit toujours de deux façons, ou bien des actes inefficients, ou bien des délires infinis sur des projets sans fondement, car ceci est l'autre aspect du "système". Dégraisser ce machin ne servira à rien si en paralléle on ne le rend pas transparent. Comme ici il y a une longue tradition de non-transparence et d'emfumage savant, je pense pouvoir conclure que mieux vaudrait simplement baisser la fiscalité et se passer de ces machins qui en fait distribuent une forme d'impôt négatif.

En conclusion on décide quelque chose d'apparent, c'est le rôle de l'illusionniste, la foule voit, et le décideur a ainsi bonne conscience.

En fait l'important, la réduction fiscale est évitée, on a bougé en restant sur place comme ceux qui vivent dans ces organismes (leurs emplois sont préservés). C'est la réforme immobile.

 
At 9:41 AM, mai 15, 2006, Anonymous Anonyme a dit...

Beaucoup de "mousse médiatique" et en fait une forme fardée de sevice public.

Un "r" fait toute la différence, "r" connu.

 
At 12:36 PM, mai 15, 2006, Anonymous Anonyme a dit...

La France innovante? "Congratulations", une distinction particulière pour l'innovation fiscale, voici le top du top la taxe sur les em-mails et sms:

http://euobserver.com/9/21541/?rk=1

Apres le semillant Lasalle voici le perochain bout en train Lamassoure! Ne a Pau Enarque! Mais que veulent donc les pyreneens?

Se canto

Devant ma fenêtre
Y'a un oiselet
Toute la nuit chante
Chante sa chanson.

 
At 2:28 PM, mai 15, 2006, Anonymous Anonyme a dit...

Que pourraient bien encore pondre les « machins », leurs gentils animateurs pour justifier de leur position? Un train rapide, une fusée, un avion; ils ont déjà sévi. Passons à l'avanir! Je veux mon Google. Na! Et si on ne me donne pas mon CNN, je boude! Je veux, je proclame, la France doit... Il faut que. C'est un brainstorming formidable qui a produit cette idée de taxation des e-mails et sms, comme identiquement de taxer (Taxe Véhicule Société) les véhicules de collaborateurs utilisés lors de missions, comme identiquement x, y, z (complétez vous même). C'est un brainstorming formidable qui occupe les milieux « énarchiques », leurs « dépendants » comme tous les « corpocrates » de tous poils car ils savent que les conditions favorables à leur façon de faire se délitent. Se délitant elles menacent leurs « mangeoires » et plus grave encore: leurs « alibis ». Si le terme « corpocratie » est utilisé c'est qu'il est l'icone du système à perdre, car il couvre la promotion par l'appartenance, l'élitisme par l'appartenance et non par la performance! Nous savons bien, l'auteur de ce blog et celui de ce billet, de par nos études, ce que « corpocratie » veut dire. A force d'être intelligents, nous sommes devenus (collectivement) illisibles, inefficaces, dans une dérive picrocholienne., sans oublier les vanités et ambitions démesurées des « conseillers ». L'intelligence contre l'intelligence, au service d'un processus de sape (de l'économie), de détournement (d'inversion des valeurs), a produit le pire système qui soit. Ces agences et mécanismes d'aide ne sont qu'une nième déclinaison. Croire, faire croire à ces organismes reviendrait à une complaisance qui serait en ce sens une complicité. Ces organisme n'étant qu'un épiphénomène, l'essentiel étant ailleurs!

 
At 5:31 PM, mai 15, 2006, Anonymous Anonyme a dit...

la fable a lire est la >>> http://h16.free.fr/index.php?2006/04/17/162-une-fable-actuelle#co

 
At 11:09 AM, décembre 18, 2007, Anonymous Anonyme a dit...

Intéressant... mais en ce qui concerne l'innovation l'aspect "terminal utilisateur" n'est que le tout petit bout technologique du processus. Un grand innovateur du moment c'est Apple... et c'est une entreprise de différenciation design et marketing plus que de différenciation techno (le iPhone n'est pas même un téléphone 3G...) J'en viens à me dire qu'il faut embaucher au moins autant d'ingénieurs que de spécialistes en sciences humaines pour réellement innover (et d'ailleurs c'est ce que font les cabinets de conseil en innovation aux US, qui ont décidément quelques années d'avance sur nous).

fdm@ligeia.eu

 

Enregistrer un commentaire

 

<< Retour homepage