Service non compris
On ne parlera ici que des emplois de service à destination des particuliers qui (je l'ai entendu sur BFM cette semaine) représenteraient un potentiel de plus de 3 millions d'emplois en France si le particulier Français consommait autant de services que le particulier Américain. En gros, chômage réduit à zéro...
On peut, en fait, résumer la situation dans laquelle nous nous trouvons par deux assertions simples:
- les Français ne consomment pas autant de services que leurs homologues Américains parce qu'ils n'en ont pas les moyens;
- les Français ne veulent pas occuper des emplois de service car "service" a la même étymologie que "servus" (esclave en latin): avoir un tel emploi n'est ni valorisé, ni rétribué correctement dans notre culture.
Derrière ces 2 constatations à la fois économiques et sociologiques, on peut multiplier les anecdotes, les exemples et démonstrations que notre "système fiscalo-social" a su créer les conditions parfaites pour que le moins possible d'emplois de service aux particuliers soit créé ou maintenu.
Voici quelques exemples pas si anecdotiques que cela...
Les gardiens d'immeuble: une espèce en voie de disparition
Pour illustrer le fait que les Français n'ont plus les moyens, je prendrais simplement, et en premier, l'exemple des gardiens d'immeubles qui ont disparu au fil des années et qui ne subsistent que dans les grandes copropriétés (plus 50 appartements environ) ou dans quelques quartiers très huppés (et encore). Pas de gardien comparé à une acariâtre concierge curieuse et médisante, c'est certes mieux... mais quelqu'un qui surveille les allées et venues, qui récupère les lettres recommandées et autres colis postaux, reçoit un plombier quand on est pas là et s'assure que les parties communes sont propres, c'est beaucoup mieux.
Je n'ai pas étudié le cas économique du gardien d'immeuble mais il me semble qu'il est économiquement abordable pour une copropriété de 10 appartements dans la mesure où une partie de la rémunération est un logement à titre gratuit (qui fait partie de la co-propriété) et qu'on n'applique à cet avantage ni charges sociales, ni taxes... (ce qui n'est pas le cas puisque ledit "avantage en nature" est soumis à charges sociales moyennant un calcul complexe se référant à la Convention Collective des gardiens et employés d'immeuble).
Notre sur-réglementation est, en plus, passée par là: en effet, les avantages en nature du gardien (la loge en fait partie ainsi que sa facture d'électricité ou de téléphone) doivent rester à 100% à la charge du propriétaire (pour une raison qui m'échappe totalement puisqu'il semble s'agir de frais de fonctionnement) et les frais de personnels pour 25% à la charge des mêmes propriétaires s'il s'agit d'un gardien (0% s'il s'agit de personnel extérieur ! pour une autre raison qui m'échappe encore plus totalement). Ainsi, dès qu'un immeuble comprend quelques locataires, le poste de gardien est supprimé... N'importe quel grand gestionnaire de foncier locatif (type société d'assurances) lisant le décret correspondant (daté de 1987), supprime immédiatement tous les "jobs" de gardiens d'immeuble !
Notre État "réglementeur" se mêle vraiment de "trucs" qui ne le regarde pas ! Sous prétexte probable de protection du locataire, on empêche ce dernier d'avoir un gardien et surtout on rend "fragiles" des dizaines de milliers d'emplois !
Les rangeurs de cuisine: une espèce inconnue
Pour changer totalement de géographie, j'ai croisé en Californie, il y 7 ou 8 ans, un gars qui avait comme profession "expert en rangement de cuisine". Cet "expert" intervenait auprès de ménagères californiennes pendant quelques heures (je crois me rappeler qu'il facturait $100 de l'heure !) pour vider tous les placards et tiroirs de la cuisine et remettre tout en place en optimisant l'utilisation ultérieure des différents ustensiles et denrées alimentaires que l'on trouve dans une cuisine. Son expertise consistait à identifier que la machine à pétrir la pâte à pizza, étant utilisée rarement, devait se trouver en haut d'un placard loin de l'évier et qu'au contraire les "mugs" et les "corn flakes" pour le petit déjeuner devaient se trouver à portée de main !
Le gars vivait très bien, avait un beau 4x4, était extrêmement souriant et aimable et avait 2 ou 3 clientes par semaine (recrutée uniquement par bouche à oreille du type "he's wonderful. He changed my life!"): si je calcule bien, il devait se faire plus de $3,000 par mois soit plus de 2500€ ! Je suis prêt à parier qu'un tel positionnement serait difficile à tenir en France: combien de ménagères pourraient se permettre de dépenser quelques centaines d'euros pour avoir un tel service ? Si un nombre significatif en avait les moyens, combien de personnes seraient motivées pour effectuer un tel travail ? Beaucoup pour gagner les 2500€, beaucoup moins seraient "fiers" d'un tel "job" et beaucoup oublieraient que sourire doit être compris dans le service !
Le rangement de cuisines étant une "niche", n'y voyez aucune solution visant à régler le problème du chômage en France mais, avouez-le, le "gap" culturel est saisissant.
Le pourboire généreux qui permet de mieux vivre: interdit en France
Si je continue avec une comparaison franco-californienne, toute personne qui s'est installée, pour la première fois, à la table d'un restaurant (même modeste) aux États-Unis a été étonnée par le "hi guys ! my name is Kelly, may I help you ?" prononcée par une charmante jeune femme au sourire "ultra brite". Ce même client découvrant les États-Unis s'est gratté la tête en fin de repas pour savoir ce que "gratuity non included" pouvait bien vouloir dire et combien il fallait laisser de pourboire.
Le "gratuity non included" correspond à notre antique "service non compris" et le principe des "tips" (pourboires) est simple: 15% ou plus si vous êtes très satisfaits, 10 à 15% si vous êtes simplement satisfaits et moins de 10% (jusqu'à zéro) si vous ne l'êtes pas (ou pas du tout). Dans ce dernier cas, Kelly peut très bien vous faire la tête (c'est assez rare) mais surtout vous poser la question sur ce qui s'est mal passé: une "vraie" raison est alors à énoncer (genre "la viande était froide", "on a attendu trop longtemps"...) et Kelly compréhensive fera tout pour que cela ne lui arrive plus.
Il faut ajouter que Kelly qui vît à Los Angeles a aussi une petite carrière dans le cinéma, que ses revenus sont majoritairement composés des "tips" attribués par les clients satisfaits de ses services au restaurant, que certains vendredis ou samedis soirs elle gagne $300 dans la soirée et qu'elle ne paiera pas d'impôts sur cette somme: la version Californienne de l'"intermittente du spectacle", beaucoup beaucoup moins coûteuse pour la collectivité, beaucoup plus responsabilisante (c'est sûr) et "valorisante" (je le pense) pour la jolie Kelly...
Si l'on revient dans notre cher pays, le "service compris" a été, si je ne me trompe pas, imposé du temps de l'"ex" (VGE que je préfère pourtant de beaucoup à notre pathétique "futur ex"...) pour des raisons (peut-être louables) de défense du consommateur. Les 15% inclus dans le prix ont fait disparaître ou rendus totalement marginal le pourboire et notre état "rapace" a pu y appliquer toutes les taxes et cotisations qui caractérisent notre vénéré "système social" (la TVA sur ces 15% a été exclue pendant un certain temps puis remise en place plus récemment).
La rémunération d'un serveur Français, Gérard par exemple, quand on la compare à celle Kelly est quasi-totalement indépendante de la qualité de service perçue par ses clients (ce qui peut expliquer que Gérard est moins aimable que Kelly) et surtout, quand Kelly récupère $10 de pourboire c'est net de tout (pas de cotisations sociales, pas de TVA, pas d'impôts), alors que quand Gérard collecte 10€ de "service compris", au mieux seulement 3 ou 4€ iront dans sa poche (ce qui peut expliquer que Gérard est moins motivé que Kelly) et 6€ partiront en charges sociales et TVA ! "Big difference, huh ?"
Le "truc" simple qui marcherait: remplacé par un "machin" pas si simple
Je finirai sur le CESU (Chèque Emploi-Service Universel) dont nous venons de recevoir un carnet à la maison (après la naissance d'Emma-Sarah, on s'organise pour compléter la crèche avec un dispositif de garde qui n'est pas évident à finaliser). Ce CESU ressemble à notre Ministre Valenciennois prénommé Jean-Louis. Quand on lit la notice (comme quand on écoute JLB), on comprend à peu près rien ! Quand on la relit, on finit par comprendre que tout ceci est un peu plus compliqué qu'un simple chèque à remplir.
Il y a certes un chèque à remplir mais aussi un "volet social" à envoyer à l'URSSAF (qui effectuera des prélèvements sur mon compte bancaire, ce que je trouve assez angoissant quand on connaît la maison URSSAF) et il ne faudra pas que j'oublie de déclarer 50% des dépenses ainsi effectuées dans ma déclaration d'impôt sur le revenu 2006 en 2007. Il faut également que je calcule le "SMIC net en vigueur majoré de 10%" (pour les congés payés), que je ne dépasse pas 8 heures par semaines (sinon il faut que j'établisse un contrat de travail) et que j'attende d'avoir 70 ans pour être exonéré de charges sociales !
L'idée (lancée par Alain Madelin lors d'une des ses fugaces apparitions en tant que Ministre) était excellente mais nos fonctionnaires n'ont pas su aller au plus simple (si c'était simple, certains d'entre eux seraient moins utiles ?): un simple chèque comme je le pensais.
- Le taux horaire aurait pu être ajusté par le marché en fonction de l'offre et la demande;
- Le chèque pourrait valoir contrat de travail pour n'importe quelle durée par semaine;
- La réduction fiscale de 50% des dépenses engagées (avec un plafond de 15.000€ par an) aurait pu être une simple exonération de charges sociales pour ce type de services.
Je crois calculer qu'économiquement, le système de réduction d'impôt m'est plus favorable (avec cependant un décalage de trésorerie défavorable d'un an) mais une simple exonération de charges sociales aurait totalement atteint l'objectif de simplicité annoncé. Je suis sûr qu'un certain nombre de gens vont finalement renoncer à utiliser ce dispositif et, soit ne pas utiliser de service à domicile, soit continuer à "s'arranger au noir". "Mr Borloo, why don't you keep it simple and stupid ?".
Conclusion
Les exemples ci-dessus sont, j'en ai l'impression, assez illustratifs du fait que:
- la pression fiscale et le poids des cotisations sociales étant déjà bien trop importants dans notre pays pour les gens qui auraient les moyens de "consommer" du service au particulier, il faut introduire la "fluidité économique" qui va bien en aval dans la chaîne économique: pas de cotisations sur la loge de gardien ou l'assistante maternelle, ni TVA ni cotisations sur le "service" qu'il soit compris ou non...
- le culte du formulaire, des conditions limitatives, des plafonds, de l'abattement, du taux minimum... doit être éradiqué surtout quand la cible est le "particulier" et que celui-ci s'aventure à devenir un micro-employeur "légal"...
- le fait de rendre un service et d'être rétribué pour cela est à la base même de l'économie. Être gardien d'immeuble, serveur dans un restaurant, rangeur de cuisines, nounou... constituent des vrais "jobs" qui sont potentiellement rémunérateurs (surtout quand le service est bon).
- le rangeur de cuisine ou la serveuse californienne n'imaginent pas un seul instant qu'ils feront ces boulots "à vie". Il s'agit pour eux d'une opportunité à l'instant t qui sera suivie par d'autres plus tard. Le rangeur de cuisine ouvrira peut-être un magasin de fleurs et Kelly deviendra peut-être scripte dans un studio hollywoodien.
Chez nous,
- des allocations diverses sont touchées par des gens qui, par ailleurs, "bricolent au noir" (ou carrément vivent de trafic et de délits divers)
ou
- nous subventionnons massivement des emplois dit "aidés" dans des associations qui apportent un soit-disant "service à la collectivité": sauf exception, très peu utile au particulier !
C'est le système le plus absurde économiquement et c'est le notre.
Ceux, bien trop peu nombreux, qui travaillent "légalement" au service des particuliers, eux, il leur reste à... "tirer la gueule" !
Ces diverses constatations peuvent également s'appliquer aux "services au touriste". Nous sommes la première destination touristique du monde avec 75 millions de visiteurs par an mais chaque visiteur dépense lors de son passage en France 2 à 3 moins que lors de son passage dans d'autres pays... Je pense qu'on peut y voir les mêmes causes "fiscalo-sociales"...
Ce "post" s'appelle "service non compris", il aurait dû s'appeler "service incompris" !