17 janvier 2009
par JDCh


Immoralité, Luxe et Capitalisme

Mes contributions "bloguesques" sont de plus en plus rares. Je vous prie de m'en excuser mais mes fréquents aller-retours aux Etats-Unis sont fatigants et je manque d'énergie...

Ceci dit, j'étais cette semaine à New York et l'un de mes amis m'a fait pointer sur cet article du New York Times que je suis ravi de traduire pour vous...

Dans le plus grand luxe, Paris se tortille...

La France est le lieu de naissance de la fureur du luxe et ici la récession touchant le monde entier a des relents de jeu moral.

Alors que les consommateurs haut de gamme ont partout subitement perdu leur appétit pour les biens de luxe, une industrie longtemps considérée comme défensive est frappée durement.

Aux Etats-Unis, les boutiques de luxe ont vu avec horreur les ventes de Noël s'effondrer quand, à Tokyo, Louis Vuitton a du annuler le lancement de ce qui aurait du être le plus grand et flamboyant magasin du monde...

Pour les Français, chaque vague de mauvaises nouvelles génère de grosses inquiétudes.

Quand Chanel annonça récemment le licenciement de 200 intérimaires - seulement un peu plus de un pour cent de ses 16.000 salariés - le quotidien Le Parisien qualifia cette information de "choc".

La chaîne de télévision LCI décrivit la décision comme le plus sérieux revers que la compagnie ait connu depuis que Coco Chanel vira son effectif en entier et ferma boutique au début de la guerre en 1939.

Mais il y a aussi, paradoxalement, une forme de satisfaction implicite ici que l'époque souvent vulgaire de la vie luxueuse est révolue et qu'une façon bien Française de vivre lui succédera.

Il n'y a qu'en France que la récession est glorifiée comme une crise de valeurs morales.

Un article récent du Figaro Magazine a fourni un guide de 12 pages sur comment réduire son train de vie en 2009 assorti de prédictions comme quoi les gens travailleront moins et mettront la priorité sur leurs familles (belles familles comprises). Un expert Français observateur des tendances repris dans le magazine décrivait les changements en cours comme rien de moins qu'une "révolution des valeurs".

Alain Némarq, le Président de Mauboussin, la prestigieuse firme de bijouterie, notait dans une interview que sauver l'industrie du luxe devrait être une priorité nationale parce qu'elle emploie 200.000 personnes en France, fait partie de l'héritage national, apporte du prestige au pays et séduit non seulement les “happy few” mais un public bien plus large.

Plutôt que d'essayer de maintenir la machine en marche en extrayant des prix indécents de la vente de sacs à mains, de montre ou autres, il proposait l'impensable: l'industrie entière du luxe devrait réduire considérablement les prix. "Nous devons revenir à la raison, à la décence, à la discrétion, à la beauté et la créativité - bref, aux vraies valeurs" proposait M. Némarq.

(Mauboussin a montré l'exemple. Nous avons vendu une bague avec un solitaire de 1 carat nommée "Chance d'amour" pour environ 14.500 dollars, soit à peu près 30% moins cher que son prix normal et sa version plus bas de gamme de 0,15 carat a été proposé à 895 dollars, indiqua M. Némarq)

Quelques intellectuels Français voudraient aller beaucoup plus loin, appelant à la mort de l'industrie du luxe toute entière comme une sorte de rite national purificateur.

"Depuis les Grecs anciens, les objets de luxe ont toujours été marqués du sceau de l'immoralité", indiqua Gilles Lipovetsky, un sociologue ayant écrit plusieurs livres sur le consumérisme. "Ils représentent le gâchis, le superficiel, l'inégalité des fortunes. Ils n'ont aucune raison d'exister".

Le champion politique de cette nouvelle moralité économique s'est converti récemment: le Président Sarkozy, anciennement connu comme le "Président Bling-Bling". Il entra en fonction en promettant d'injecter un style de capitalisme plus anglo-saxon appelant les Français à "travailler plus pour gagner plus".

Mais la semaine dernière à Paris, M. Sarkozy et l'ancien premier ministre Britannique Tony Blair accueillirent une conférence réunissant leaders politiques et prix Nobel d'économie afin d'identifier les façons d'instiller plus de valeurs dans l'économie mondialisée. Le vieil ordre financier a été "perverti" par un capitalisme "amoral" et sans contrôle, dit M. Sarkozy, déplorant le fait que "les signes de richesse comptent plus que la richesse elle-même".

Il appela de ses voeux le "retour de l'Etat" en tant que régulateur des excès du capitalisme.

Paradoxalement, ce sentiment n'est pas difficile à accepter pour les Français. L'identité nationale peut sembler parée de l'aura du luxe - robe élégante, parfum sophistiqué, nourriture fine et Champagne à volonté lors de la moindre célébration. Mais bien que les Français apprécient plus que la plupart des Européens la meilleure qualité qu'ils puissent s'offrir, ils ont tout bien considéré de l'amour propre. La France demeure un pays profondément conservateur, un pays dans lequel il a été traditionnellement inacceptable d'exhiber sa fortune. La plupart des Français utilisent des cartes de débit, pas de crédit, ce qui signifie qu'ils ont tendance à ne pas dépenser plus d'argent qu'ils n'en ont sur leurs comptes bancaires. Obtenir un prêt immobilier est un processus semé d'embûches.

Ainsi, beaucoup voient dans la fin d'une ère de dépenses libres et faciles dans les produits de luxe - alors que le luxe est associé avec éclat et ostentation tout autour du monde - la potentielle restauration de vertus classiquement Françaises de modération et de modestie. Même un peu de souffrance et de sacrifice seraient de bon aloi.

"Toute cette crise est un peu comme un nettoyage de printemps - à la fois moral et physique" dit Karl Lagerfeld, le designer de Chanel, dans un entretien. "Il n'y a pas d'évolution créative s'il n'y a pas de moments dramatiques comme ceux-là. Bling est fini. Les tapis rouges couverts de faux diamants sont finis aussi. J'appelle cela la 'nouvelle modestie'".

M. Lagerfeld est cependant vif à démontrer que sa maison va très bien, que les licenciements de ce mois ont été dis-proportionnellement rapportés par les média et que la collection Chanel Paris-Moscou a apporté 17% de croissance par rapport au show de Londres en 2007.

Restant en ligne avec le nouvel état d'esprit national - et par respect pour les dures réalités économiques, - la créatrice Nathalie Rykiel annonça qu'elle démontrerait la nouvelle collection Sonia Rykiel non pas au travers d'un grand spectacle théâtral dans un grand espace loué pour 1500 personnes mais lors de mini-shows pour 200 invités dans sa boutique Boulevard Saint Germain.

"A la fin, cela ne va probablement pas coûter moins cher donc ce n'est pas une histoire d'argent" dit-elle au cours d'un déjeuner au Café de Flore. "C'est un désir pour de l'intimité, de retour aux valeurs. Nous avons besoin de revenir à des choses plus petites, des choses qui touchent les gens. Nous dirons 'Viens chez moi. Regarde et ressens mes vêtements'".

Certainement, un recul du niveau de dépenses a été ressenti lors des fêtes de Noël à Paris pendant lesquelles des traiteurs vécurent des annulations de cocktails de fin d'année. Et quand il y a quand même eu des fêtes, il y avait plus de mousse de canard et beaucoup moins de foie gras. En matière de champagne, les ventes de gros ont décliné de 16,5% en octobre par rapport à l'année précédente et il fut moins servi aux tables Françaises; les vins pétillants Français sans l'appellation Champagne y furent plus servis.

A La Grande Épicerie, le grand hall du grand magasin le Bon Marché, le caviar Français et Italien se vendirent aussi bien que la ruineuse variété Russe; les chefs pâtissiers résistèrent à la tentation de préparer des bûches de Noël à plus de 100 euros.

"Les produits de luxe qui relèvent du savoir faire - par opposition au bling-bling - offrent une forme de refuge", dît Frédéric Verbrugghe, le directeur de la grande épicerie. “Les ventes de Dom Pérignon n'ont pas souffert, mais les packagings ostentatoires n'ont pas attiré Dans le passé, les clients auraient acheté un bloc entier de foie gras, cette année c'était juste 5 tranches."

Plusieurs dirigeants Français pensent que l'économie finira par rebondir. Certains vignerons rappellent que l'aristocratie Française arrêta d'acheter du Champagne durant la révolution de 1789, obligeant les fabricants de vins à trouver des débouchés en dehors du pays.

“Nous sommes dans ce business depuis 300 ans", dit Dominique Hériard Dubreuil, Président du groupe Rémy Cointreau, qui produit les cognacs Rémy Martin et le champagne Piper-Heidsieck. “Nous avons été atteint par le phylloxera au 19ème siècle qui détruisit nos vignobles et notre capacité à produire. Nous avons fait face à 2 guerres mondiales. Je vois cette crise comme un événement challenging mais constructif.”

Et pour M. Lagerfeld, couper ses propres dépenses chez Chanel ne fait pas vraiment partie de sa stratégie de "nouvelle modestie". Il précisa qu'il n'était pas forcé par le propriétaire privé de la société de se remettre en question ou de s'adapter en raison de contraintes financières. "Nous n'avons pas de budget, nous faisons ce que nous voulons et jeter l'argent par la fenêtre rapporte de l'argent par la porte d'entrée" dit-il. "Le résultat net c'est que je ne m'occupe pas du résultat net. Le luxe c'est que, durant ma vie, je n'ai jamais eu besoin d'y penser."

Amusant de voir combien notre germano-monégasque national prénommé Karl est représentatif de la baguette et du béret ! Non ?

Mais au fait, qu'en dit Démagolène ?