08 décembre 2007
par JDCh


Rencontre avec prix nobel

L'Usine Nouvelle a eu la gentillesse de m'inviter récemment à une session avec Monsieur Albert Fert, Prix Nobel de Physique...

Interrogé par un panel regroupant deux patrons de la R&D de grands groupes, un patron de PME innovante, un patron d'université "autonome" (UTC) et moi-même, la discussion a duré près de 2 heures et est reprise dans l'édition du 13 décembre de l'Usine Nouvelle.

Albert Fert est le co-découvreur de la GMR (ou magnétorésistance géante) à la fin des années 80 en même temps que le co-récipiendaire Allemand de son Prix Nobel, Peter Grünberg. La GMR est un des maillons essentiels de la miniaturisation des têtes de disque dur ayant permis de mettre un iPOD (ou équivalent) dans la poche de très nombreux consommateurs. De même, la GMR est à la base du concept de MRAM (mémoire magnétique non volatile) permettant d'avoir des mémoires à accès à haute performance mais ne nécessitant pas d'énergie pour conserver les données stockées... On comprend aisément l'importance de leur découverte et la portée économique de ses applications...

Cette rencontre avec un "jeune homme de 70 ans" m'a beaucoup intéressé, m'a permis de confirmer deux convictions fortes mais aussi de réviser mon avis sur un point important...

Première conviction confirmée: la France a une vision nostalgique et colbertiste de l'innovation

Comme je l'ai déjà écrit, il y a longtemps, la vision Française de l'innovation (La France est innovante ?) est malheureusement conforme à celle de personnages comme Jean-Louis Beffa: point de salut en dehors des secteurs de la défense, de l'aéronautique, du nucléaire... Ces secteurs à cycle de vie long (10 voire 16 ans pour concevoir et réaliser un avion, une fusée ou un réacteur) génèrent effectivement des innovations liées à une performance particulière ou à une contrainte d'utilisation extrême mais le "graal" de l'innovation se trouve dans le "faster, easier, cheaper" bien plus pertinent dans le secteur des produits de grande consommation...

Le laboratoire de Monsieur Fert, pourtant co-financé par Thomson (à l'époque constitué de Thales et de Thomson Consumer Electronics), n'a pas vu sa découverte sanctionnée par un dépôt de brevet (alors que les Allemands l'ont fait). De même, Thomson CE n'a pas été en situation de "leverager" la technologie GMR qui lui aurait peut-être permis de devenir le leader mondial des micro têtes de lecture... C'est, en fait, IBM qui a utilisé le brevet Allemand et fait passer la technologie du laboratoire à l'industrie...

Concernant les MRAM, une start-up Française Crocus Technologies a repris le flambeau... Espérons que le capital-risque pourra permettre de faire mieux que nos mastodontes assoupis du CAC40 (ou de l'ex-CAC40)...

Seconde conviction confirmée: la différenciation des universités est absolument nécessaire

"Université, tristesse !" avait été mon "cri" lors de la sortie du livre de Jean-Robert Pitte, Président de la Sorbonne...

Sans vouloir trahir les propos de Albert Fert ou du Président de l'UTC, ces deux universitaires pourtant non pervertis, comme je le suis, par le capitalisme et l'économie de marché, semblent plus que confirmer que l'autonomie, la sélection et la recherche de l'excellence sont absolument nécessaires pour sortir notre université égalitariste et décalée de l'ornière dans laquelle elle s'est embourbée.

Le darwinisme fait qu'il devrait y avoir d'excellentes universités ainsi que des bonnes et des médiocres, que les élèves attirés par telle ou telle spécialité (différentes sciences, économie, droit...) essaient de rejoindre l'une des meilleures universités associée à ladite spécialité, que ces universités conscientes du "label" qu'elles offrent les sélectionnent et les amènent fièrement à la maîtrise ou au doctorat dont les diplômes sont synonymes à la fois d'excellence académique mais également de véritables passeports vers le monde du travail...

Une recherche incessante de compétivité internationale qui mettrait Grenoble ou Orsay dans le même classement que Berkeley ou Cambridge ou Paris-Dauphine dans celui où figurent Harvard ou Stanford ! Une émulation qui tirerait toutes nos universités vers le haut en lieu et place de l'égalitarisme "médiocrophile" qui règne sur nos campus...

Madame Valérie Pécresse a encore beaucoup de boulot...

Révision nécessaire de notre mode de pensée: les Docteurs es Sciences Français ne sont pas inemployables

Lorsque j'ai eu l'occasion d'embaucher des centaines d'ingénieurs informaticiens, je me rappelle fort bien ma défiance à l'égard des CV qui me parvenaient contenant 7 ou 9 années d'études universitaires et se terminant par une période de "thésard" ponctuée par un diplôme de Docteur es Sciences.

Cette défiance, que je confesse sans fierté, a été ébranlée lors de rencontres multiples avec des start-ups de la Silicon Valley qui fièrement annonçaient que parmi les 30 personnes de la R&D, plus de la moitié étaient des "PhD" (équivalent Américain des Docteurs es Sciences).

Albert Fert nous a explicitement confirmé que l'une des forces de l'industrie technologique Américaine réside dans sa connexion forte entre équipes R&D et centres de recherche. Cette connexion n'est pas organisée par telle ou telle agence fédérale, elle tient simplement au fait que les gens ont passé d'abord quelques années dans des laboratoires avant de rejoindre une entreprise privée, qu'ils ont gardé le contact avec leurs professeurs ou leurs condisciples et que, de ce fait, ils savent tout simplement travailler ensemble...

Il y a, bien sûr, des raisons qui poussent le décideur Français (souvent issu des Grande Écoles) a avoir les a priori qui étaient les miens: un docteur es sciences était vraisemblablement moins bon en mathématiques à 18 ans qu'un ingénieur issu d'une grande école, sa capacité de travail n'a pas été éprouvée par 2 ou 3 années de classes préparatoires et son adéquation au monde l'entreprise n'a sûrement pas été "programmée" de façon efficace puisqu'il a du subir le discours léni[ni]fiant de professeurs n'ayant jamais mis les pieds dans une entreprise et aimant à diaboliser tout comportement économique relevant de l'économie de marché...

Il est pourtant et d'ailleurs intéressant de voir que nos docteurs expatriés sur la côte ouest des Etats-Unis y réussissent formidablement bien, que certains y demeurent des chercheurs universitaires mais qu'une grande partie se retrouve chez IBM, Microsoft ou Google ou dans des start-ups ambitieuses financées par le capital-risque !

En cette période de pénurie de ressources humaines compétentes dans le grand secteur que constitue l'IT (internet, software, telecom, semi-conducteur...), les choses peuvent changer et peuvent le faire sans intervention aucune de notre Etat ou du gouvernement... Il suffit que chaque "Décideur Technique" (généralement diplômé d'une Grande École d'ingénieur) décide "d'adopter un (puis plusieurs) Docteur", lui laisse une période d'acclimatation au pragmatisme parfois frustrant de l'entreprise privée, lui fasse confiance quant à ses compétences et sa capacité à apprendre vite et recrée ainsi le lien massacré entre le monde de la recherche et celui des "entreprises à but lucratif"... Je suis sûr qu'une très grande partie de nos docteurs sauront y connaître la réussite...

Amis CTO, CIO, VP Engineering, R&D Director et autres "managers technologiques", à vous de jouer...



06 décembre 2007
par JDCh


RTT: put or call ?

La semaine dernière, je me suis sans doute un peu trop vite enthousiasmé suite aux déclarations de notre Président (cf Travailler c'est trop dur... ) au sujet du fameux "travailler plus, pour gagner plus"...

L'article dans Les Echos décrivant une loi proposée par le gouvernement concernant le rachat des fameux jours de RTT présente une initiative que je ne peux que considérer que comme fort malvenue. Les raisons sont simples:
  1. Ce projet de loi est une mesure temporaire concernant le "stock" de jours de RTT accumulées par les salariés concernés jusqu'au 31/12/2007. Est-il besoin de rappeler une fois encore que les entreprises et surtout les PMEs ont besoin de mesure simple et durable et non de gadgets périssables par définition coûteux à mettre en oeuvre ?
  2. Ce projet de loi rentre en conflit avec la loi TEPA sur les heures supplémentaires. A la même situation, un employeur pourrait répondre par un rachat de RTT sans charges sociales mais fiscalisables pour le salarié ou des heures supplémentaires sans charges sociales salariales, défiscalisées pour le salarié mais redevables des charges sociales patronales. Quel b... ! On voudrait enterrer la loi TEPA que l'on ne ferait pas autrement !
  3. Ce projet a l'immense inconvénient de "fixer la valeur" de rachat d'une journée de RTT à 110%. Cette fixation du prix niant tout phénomène de marché, réduisant à néant les capacités de négociations entre l'offre et la demande (patronats et syndicats) est typique de la Bercytocratie que je dénonce à longueur de "posts". Le Président avait ouvert le champ de négociations potentiellement vertueuses, on a dorénavant créé un référentiel qui réduira forcément et fortement le champ des dites négociations.

Ne serait-ce que pour l'immense vertu pédagogique gâchée par un tel dirigisme et interventionnisme de notre coûteux État, ce troisième point est, pour moi, fondamental et mérite un "post" comme celui-ci.

Si l'on fait une comparaison avec les marchés de capitaux et notamment les marchés Actions, on peut utiliser les définitions de "put" et de "call" pour expliciter ce qui aurait dû être la base des négociations branche par branche (voire entreprise par entreprise pour les grandes). Un "put" est le droit de vendre une action à un certain prix et avant une certaine date. Un "put" a une valeur qui varie en fonction croissante du prix de vente et de la date d'échéance. De façon similaire, un "call" est le droit d'acheter une action à un certain prix et avant une certaine date. Un "call" a une valeur qui varie en fonction décroissante du prix d'achat et de la date d'échéance.

Patronats et syndicats auraient pu se retrouver dans une négociation de type "give and take" lors desquelles ils auraient "troqué" des "calls" octroyés aux employeurs contre des "puts" alloués aux salariés... Le résultat économique de ce "troc" n'est pas prévisible depuis Bercy car il dépend éminemment du secteur d'activité ou de la situation des entreprises. De la même façon qu'il y a des secteurs qui "paient mieux" que d'autres, qu'il y a des entreprises dans lesquelles la participation représente plus d'un mois de salaire et d'autres où elle est quasi-nulle, qu'il y a des ambiances de travail conviviales dans certaines "boîtes" et des atmosphères détestables dans d'autres, la valeur d'une journée de RTT suivant le secteur d'activité et suivant celui qui a le droit d'acheter (entreprise) ou de vendre (salarié) a une valeur économique fort différente.

Sachant que, dans la plupart des entreprises, les jours de RTT non pris sous forme de congés avant une certaine date sont perdus pour le salarié "bosseur" qui, mal organisé, a travaillé plus que d'autres sans bénéfice direct et sachant également que les jours de RTT ont été octroyés lors de la mise en place des 35 heures sans perte de salaire, la diversité des accords pouvant intervenir entre entreprises et salariés pourrait prendre des formes extrêmement diverses...

  • on trouverait des entreprises dans lesquelles le meilleur accord consisterait à rémunérer à 125% des journées de RTT non prises et travaillées mais ce, dans le cas d'une demande expresse du management à un ou plusieurs salariés, pour faire face à une pointe d'activité ponctuelle et réputée exceptionnelle;

  • on trouverait, à l'extrême inverse, des accords par lesquels le salarié peut à tout moment revendre ses jours de RTT accumulés pour un montant unitaire correspondant à 25% du salaire journalier et ce, que l'entreprise en ait le besoin ou non;

  • on trouverait, de même, à mi-chemin entre les 2 situations précédentes, des cas où le salarié peut revendre un nombre limité de jours (par exemple, 5 maximum par an) à 50% de son salaire journalier et où l'employeur peut demander par an un nombre également limité de jours de travail supplémentaires (par exemple, 5 par an) qu'il rémunère également à 50% du salaire journalier tout en ayant pris des mesures d'augmentation générale des salaires (ou à 75% sans revalorisation des salaires);

  • on trouverait, enfin, des cas où tout ou partie des jours RTT sont purement et simplement supprimés en échange d'une augmentation des salaires et d'un passage pur et simple aux bonnes vieilles 39 heures.

L'ensemble des accords de forme différente pourrait être inclus dans les conventions collectives (ou faire l'objet d'avenants aux contrats de travail pour des dispositions spécifiques à une entreprise) et nous rentrerions dans une vraie nouvelle ère où les parties "employeurs" et "salariés" sont capables de négocier en mode "give and take" et de signer un accord qui vaut contrat.

Les Bercytocrates méprisent-ils tant les partenaires sociaux qu'ils les croient incapables de faire cela ?