Capitalisme: qui est le plus sauvage ?
Prenons le cas de l'OPA récente lancée par Mittal Steel sur Arcelor.
L'agitation politique de nos gouvernants paraît bien inutile pour un Etat qui, après avoir largement subventionné la reconstitution d'une sidérurgie franco-européenne, avait décidé de vendre en 1997 ses actions (décision de DSK alors Minefi). L'Etat Français n'est donc pas "décideur" en la matière. On notera, d'ailleurs, que notre actuel Minefi Thierry B. , après avoir été sans doute "chauffé" par ses conseillers, a rectifié et précisé que sa réaction initiale avait été celle d'un simple "stakeholder" (par opposition à "shareholder"): il souhaite simplement avoir plus d'information.
L'information relayée par les médias français est également vaine et surtout tendancieuse. Lakshmi Mittal "capitaliste Indien, citoyen du village global" est forcément "méchant", est forcément "suspect" puisqu'il a construit un empire très rapidement, ne peut pas avoir de projet "industriel" digne du fleuron de la sidérurgie Européenne, son offre "hostile" est évidemment "irrésistible"... Foutaises.
D'abord il n'est pas impossible que la combinaison d'un acteur du "specialty steel" (ARCELOR) et du "commodity steel" (MITTAL) fasse du sens du point de vue "industriel". Les réseaux de distribution et la couverture géographique de l'entité combinée seraient en effet renforcés "de facto" (je ne connais pas ce marché mais pourquoi cette hypothèse serait-elle forcément fausse ?). Il est ensuite à peu près certain que la fusion des deux groupes complémentaires dans leur positionnement n'aurait pas, à court terme, de conséquences sur les sites de production: si Mittal veut Arcelor c'est sans doute parce que Arcelor sait produire des aciers "à valeur ajoutée" que son groupe ne sait pas produire et que seuls des investissements colossaux lui permettraient d'adresser de façon organique. Les éventuels sites menacés du groupe Arcelor (s'il en existe) le seraient sans l'OPA du "méchant" Mittal...
Ensuite si l'on regarde l'offre de Mittal, on voit que celle-ci est une offre mixte de "cash" et d'actions. Cette offre n'est pas un "no brainer" que chaque actionnaire individuel ou institutionnel va accepter "illico".
En effet, une offre en actions signifie que l'actionnaire d'Arcelor se retrouve, après une telle opération, actionnaire du groupe Mittal-Arcelor et qu'avant d'accepter, chaque actionnaire va se poser la question simple: "ai-je plus confiance dans le rendement d'un investissement dans Arcelor seul ou dans ce nouveau groupe ?". Si la logique industrielle n'est pas démontrée, les actionnaires refuseront sans doute de prendre le risque de dire "oui" à cet échange. Il est probable que Mittal souhaite "contrôler" Arcelor, il lui faut donc qu'une majorité des actionnaires de sa "cible" soit d'accord... Il n'est pas du tout sûr de les convaincre.
De plus, la composante "cash" de cette offre a plusieurs limites. La première limite est la capacité de mobilisation d'argent frais que Mittal a. Même s'il s'agit d'un "méchant", il apparaît que ses ressources sont limitées et ne lui permettent pas de faire une offre "100% cash". S'il le faisait, une seconde limite apparaîtrait: celle du prix à partir duquel une majorité d'actionnaires d'Arcelor seraient prêts à ne plus être actionnaires et à recevoir une somme "en liquide". Si ce prix était élevé voire trop élevé, le "méchant Mittal" serait en fait le "dindon de la farce". Il paierait trop cher et donc s'appauvrirait dans l'opération...
Ce petit exemple pour démontrer que les actionnaires d'une société ont "grosso modo" les mêmes droits qu'un copropriétaire, à savoir le droit de voter ainsi que le droit de vendre ou de ne pas vendre. Ce mécanisme "démocratique" est fondateur du capitalisme et je ne vois rien de "sauvage" là-dedans.
Cet exemple montre également que les règles du jeux sont auto-régulatrices: celui qui paie trop cher s'appauvrit (de même que celui qui cède pour pas cher)... Les bonnes transactions se font donc naturellement "au bon prix".
Finalement cette histoire n'a pas grand chose à voir avec l'histoire du grand méchant loup contre qui le gentil petit chaperon rouge ne peut rien faire.
Elle ressemble plutôt à l'histoire d'un club de football du Qatar qui voudrait enrôler une star du football Européen ou Sud-Américain âgée de 29 ans. Cette star à qui un salaire faramineux serait proposé devrait choisir entre "la suite de sa carrière" et un "salaire princier": sa réponse n'est pas pré-determinée et sa décision reste bien sa décision.
Pour revenir sur notre Minefi, antérieurement PDG de France Telecom, il est parfaitement au fait de tout cela. N'a-t-il pas organisé l'OPA de Wanadoo par France Telecom (en l'espèce la logique industrielle était indéniable mais on peut se poser la question du "bon prix") puis la mise sur le marché de PagesJaunes (auparavant inclus dans le groupe Wanadoo) sur une base de valorisation permettant à France Telecom d'avoir remis la main sur son fournisseur d'accès Internet pour une "bouchée de pain" ? Du grand art "capitaliste" (avec un zeste de citron franco-arnaco-je ne sais quoi)... Sauvage ? je ne sais pas, mais sûrement plus que notre ami Lakshmi...
D'aucun commenteront que le contexte était différent (France Telecom avait le contrôle de Wanadoo avant cette OPA), d'autres se rappelleront que des associations de minoritaires avaient effectivement "hurlé à la mort" (et auraient pu déclencher une "class action" si cela existait dans notre droit). Je suis, pour ma part, certain que chaque souscripteur des 2 Miliards d'Euros levés par Wanadoo en juillet 2000 en a encore un peu mal aux f...
Le week-end dernier j'ai vu à la télévision notre Premier Ministre, subtil mélange de Jeanne d'Arc et de d'Artagnan, entouré de 2 PDGs muets annoncer la fusion de Suez et d'EDF. Je n'ai à priori rien à redire sur cette fusion qui semble plutôt opportune (tant industriellement que financièrement) mais sur le fait que M. Mestrallet PDG d'une entreprise privée (Suez) soit "aux ordres", j'ai un vrai "gros" problème. M. Mestrallet a-t-il attendu de recevoir une éventuelle offre de l'Ialien Enel avant de décider d'un mariage avec GDF ? Et si cette offre avait été une belle offre pour les actionnaires de Suez ? Les actionnaires de Suez sont-ils vraiment d'accord pour être "re-nationalisés" ?...
Pour M. Cirelli, ça paraît plus normal puisque GDF est une "entreprise publique" contrôlée à 80% par l'Etat. Ceci dit, les 20% d'actionnaires que GDF a recruté lors de son entrée en Bourse (il y a peu) n'ont visiblement pas vraiment été considérés: ils devraient se déclarer heureux, on aurait pu les fusionner avec Pernod-Ricard ou Moulinex ! et puis en achetant du GDF, ils devaient savoir que leur coactionnaire majoritaire et Étatique était imprévisible !
Sans doute stratégiquement opportun mais tactiquement sauvage vis à vis des minoritaires...
Tout ceci est dit sans compter la fâcherie probable avec nos amis Italiens qui auraient voulu créer un champion Européen et nos amis Belges qui voient d'un mauvais oeil l'état Français "nationaliser" leur secteur électrique et gazier. Heureusement, tout ceci n'arrivera plus très souvent puisque l'Etat Français, et c'est une bonne nouvelle, n'a plus beaucoup d'entreprises sous son contrôle et avec qui faire "joujou" au titre de la "politique industrielle de la France".
Je ne suis pas hostile à ce concept de "patriotisme économique" mais je préfère clairement le "football total" à l"Européenne au "Catenaccio" à l'Italienne pratiqué par nos gouvernants.
Petite remarque pour en finir sur la notion d'"entreprise publique". Dans les pays anglo-saxons, "public company" signifie "entreprise cotée sur un marché boursier", cela signifie que tout à chacun (le public) peut avoir accès au capital en achetant des actions sur le marché (et cela ne signifie bien sûr pas que l'Etat est actionnaire de cette entreprise). Monsieur Mittal ne fait que tenter d'accèder au capital d'Arcelor et le statut "public" d'Arcelor le lui permet. Entrer en Bourse impose cette contrainte et ne pas avoir de "noyau dur" (groupe d'actionnaires ayant signé un pacte d'actionnaires et agissant de concert pour stabiliser le capital de l'entreprise) rend "opéable" ces "public companies".
Refuser ces règles consiste à refuser le système boursier dans son ensemble...
Je parlerai dans un autre "post" des "private companies", des fonds d'investissement en "private equity" qui investissent dans ces "private companies" et j'essayerai de vous démontrer que, malgré la réputation sulfureuse qu'aiment véhiculer les médias à leur sujet, ils ne sont ni si "nuisibles", ni si "méchants", ni si "sauvages" que cela.
Sauvagement votre...